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Le « No gift act »

Je déteste Noël. Traitez-moi de vieux grincheux, je déteste ce que l’on définit maintenant par Noël. Un festival de consommation inutile. Le chiffre magique : 639 $. Le chiffre magique du budget de consommation des ménages pour la période des fêtes en 2014. Quand on dit budget, c’est évidemment une prévision de dépenses. Rien ne dit que celui-ci sera respecté ou que la somme est réellement disponible.

Noël? Une période d’orgie de consommation où la décadence de la société moderne montre ce qu’elle a de plus ridicule, de plus risible, de plus infecte. Il y a de ces moments où l’on se demande si l’humain nord-américain ne s’ennuie pas. Consommer pour se désennuyer. Consommer pour consommer devient une habitude. T’as consommé aujourd’hui? Qu’est-ce que tu planifies consommer?

Puis, vient cet échange de cadeaux où chacun achète quelque chose dont l’autre n’avait pas réellement besoin. Un article de plus qui viendra choir dans une boite, une garde-robe ou un garage pleins à craquer.  Tous ces objets inutiles viendront, un jour ou l’autre, garnir une vente-débarras quelconque. Tout cela, sans compter la robe à paillette que l’on ne portera qu’à une occasion ou cette chemise écarlate réservée à cette période de l’année.

Et si l’on prenait une pause? Un Noël sans cadeaux? Un Noël où l’on porterait le vieux jeans confortable, où l’on boirait nos restants de 40 onces et où l’on porterait le doux sourire écarlate de la joie de profiter du temps qui passe?

Ce qu’il y a de plus précieux, ce que l’on ne prend plus le temps de donner, ce n’est pas le dernier Ipad ou le plus récent téléphone cellulaire. Ce qui devient rare dans cette vie de fou : le temps. Donner du temps. J’ai toujours trouvé que la période de Noël était merveilleuse lorsqu’on prenait le temps d’exister, de partager et de vivre des moments. Rien d’extravagant, pas de vacances dans le Sud ou une fin de semaine à Jay Peak. Non, juste le temps de dire à ses parents et amis : « Je vous aime, vous êtes importants pour moi et je suis content d’être avec vous ».

Prendre le temps d’arrêter, de mettre un frein à la vie trépidante. Prendre le temps de se faire un café à la maison plutôt que de contribuer à l’évitement fiscal d’une multinationale de la vache reproductrice. Retourner à l’enfance, faire ces activités anodines et gratuites : patiner au parc, faire une promenade en soirée, mordre dans la vie dans ce qu’elle a de plus simple. Se coucher dans la neige et regarder les étoiles (vision fantasmagorique lorsque l’on vit à Montréal où la pollution lumineuse altère notre vision du ciel). En somme, prendre le temps de vivre avant de crever.

Et si l’on signait en 2014 le « No gift act »? Un accord mutuel et familial de prendre du temps de qualité ensemble, mais de ne pas se donner de cadeaux matériels. En somme, prenons tous ensemble la résolution de ralentir cette folie, une famille à la fois. Éviter les soldes, les files d’attente, les voitures encombrées, le « boxing day », le « faux boxing day », le stress de la tempête de neige, le temps d’emballage, etc. Non, juste prendre du temps pour nous et les autres.

Il y a quelques années déjà, je travaillais pour une firme comptable mondiale située au centre-ville de Montréal. On était le 23 décembre, débordé par ma vie professionnelle et mon absence de vie personnelle, je roulais toujours à la limite du temps, je flirtais avec l’état de fatigue permanent. Puis, en rentrant à la maison, un homme m’aborde non loin du métro Berri-Uqam :

–          T’aurais pas du change pour manger ?

–          Non désolé.

Puis, j’ai continué mon chemin. Quelques pas plus loin, je me suis arrêté. Je suis retourné le voir.

–          Tu voudrais manger quoi?

–          Bien, ce que tu veux m’offrir.

Il voulait du McDo, je suis rentré avec lui. Les employés me regardaient entrer avec l’homme. Ils étaient habitués de le voir dehors, avec ses sacs de plastique en guise de bottes. Je lui ai payé un trio Big Mac et une carte cadeau pour son prochain repas. Il m’a remercié et je suis parti.

C’est à se demander qui a rendu service à qui cette journée-là. J’avais l’impression d’avoir été plus utile à quelqu’un à ce moment qu’à tous les clients de la firme pour laquelle je travaillais depuis le début de ma carrière. Depuis ce temps, une fois par année, j’aide quelqu’un dans l’anonymat, sans partage de réseaux sociaux, sans vidéo de seau de glace sur la tête. Je l’aide pour la reconnaissance de mon miroir le matin. Celui qui ne nous envoie pas toujours le reflet que l’on voudrait voir. Aider son prochain, c’est aussi le geste égoïste de s’apprécier.

Pour Noël 2014, je rêve de centres commerciaux vides, d’enfants heureux de voir leurs parents jouer avec eux plutôt que d’acheter la paix. Je rêve d’autre chose, et vous?

Pourquoi ne pas donner notre Noël dans une banque alimentaire? Prendre le budget de 639 $ et acheter des denrées alimentaires ? Sinon, on peut donner son Noël à la Guignolée du Dr Julien…

Alors, qui veut signer le « No gift act »? Qui sait? Nous pourrions y prendre goût…