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Paupérisation du métier d’auteur BD: le débat fait rage outre-mer

En France, plusieurs auteurs BD lancent actuellement une sonnette d’alarme.

Il est de plus en plus difficile, dans le contexte actuel, de vivre de la bande dessinée, autant en tant que scénariste de dessinateur. Si vous fréquentez les sites Web dédiés au 9e art, vous êtes peut-être tombé sur quelques-unes de ces récentes sorties : « démissions » tour à tour de deux créateurs – Bruno Maïorana (Garulfo, D) et Philippe Bonifay (Zoo).

Cela, en parallèle de la diffusion Web du documentaire Sous les bulles de Maiana Bidegain (maintenant disponible uniquement sur support DVD), qui évoquait ce phénomène de la paupérisation des auteurs.

 

Sans avoir de réponse à vous proposer, je me suis dit qu’il serait à propos, dans le contexte, de vous offrir un petit survol des questions soulevées, justement, par ces auteurs.

Philippe Bonifay, de son côté, a annoncé ses intentions dans un long statut Facebook, aux allures de lettre d’adieu. Dans celle-ci, il y dénonce les conditions qu’offrent les éditeurs aux auteurs BD et ceux qui les acceptent, et, plus largement, l’écosystème économique et critique lié à la bande dessinée :

Aujourd’hui, j’arrête. Ce monde de l’édition BD ne me convient plus. Je n’y ai jamais vraiment eu ma place, c’est vrai, mais là, c’est trop.

La lâcheté méprisable de certains auteurs qui acceptent des conditions de travail inacceptables, l’indécence des éditeurs qui abusent sans vergogne des auteurs pris à la gorge, les libraires qui n’ouvrent plus les cartons et tous ces eunuques cachés derrière leurs écrans qui vomissent leurs impressions inutiles sur des albums si difficile à faire… Je n’ai pas été élevé comme cela. Je n’ai pas élevé mes enfants comme cela. Je pars la tête haute et laisse ce monde où trop de dos voûtés et de pantalons baissés définissent un univers qui n’est plus celui que je connaissais. »

(…) Je laisse sur certaines étagères des histoires de cow-boys, de pirates, de motos… Un père Noël perdu, comme un paradis misérable. J’y laisse aussi une femme qui a retrouvé son âme et me tend aujourd’hui son bandeau, qui lui barrait le visage. Elle n’en a plus besoin. Mais moi? Rester sans rien dire et continuer? L’expression « perdre son âme d’Auteur » peut paraître excessive. Elle ne l’est pas. Certains riront aux larmes de mes mots, d’autres non.

Je laisse aussi ces dernières gouttes d’eau qui ont fait déborder des cuves de patience. Blanche-Neige, Barbe-Bleue et Pinocchio, si longtemps travaillés, portés par toute une équipe, d’auteurs et d’éditeurs, pour n’être-naître au bout du compte que du papier à pilon, sans suite, sans avenir, sans rien. »

 

La bande dessinée, un marché saturé? Bruno Maiorana, dans les réflexions qu’il lance dans le journal Sud Ouest alors qu’il se retire du métier, vont en ce sens : « Cela fait un an et demi que j’y songe. Parce que la BD n’est pas viable par rapport au temps que je peux y passer. Le plaisir et la passion ne peuvent pas tout justifier. Être dessinateur de BD, c’est chronophage au point que tu n’as plus de temps à consacrer à l’autre; c’est sacrifier tout, sans pouvoir en tirer au moins un salaire décent. »

Cela, tout en questionnant le rôle des grands éditeurs dans ce qu’il décrit comme un état de fait, dans un contexte où on édite de plus en plus de BD, pour un temps de présentiel en librairie de plus en plus bref… Avec, en sus, moins de marge de négociation au profit des auteurs…

Un éditeur aujourd’hui ne se soucie plus de défendre une série par amour de la BD : il vend de la tonne de papier. La BD est le monde le plus libéral qui soit. La mondialisation et le dumping social, qui font qu’il est plus intéressant pour un éditeur de rémunérer un auteur tchèque ou chinois, ne nous épargnent évidemment pas.

(…) Nous avons tous les inconvénients des professions libérales, sans en avoir aucun avantage. Un éditeur peut arrêter une série du jour au lendemain sans se justifier. Il n’a même pas à payer nos charges sociales, uniquement celles de ses propres salariés. »

 

Ces départs, coup sur coup, de la profession, ont ainsi relancé les réflexions sur le statut de l’auteur, sur les salaires et les fonds de retraite liés aux auteurs BD et à leurs associations outre-mer (en témoigne notamment cette sortie d’auteurs dans le journal Charente Libre).

Qu’en penser?

Est-ce que l’évolution du marché de l’édition BD, du marché du livre en général, rends de plus en plus intenable, financièrement, la pratique du métier?

Quel regard porter sur ces changements? Quels constats en tirer?

Et, peut-être également, quelle ligne tisser entre la bande dessinée et les autres sphères de l’expression artistique, en proie également à moult débats et réflexions sur les questions liées au financement?

Pour continuer d’alimenter ma réflexion (et la vôtre) sur la question, je vous relais, en terminant, un troisième témoignage : celui d’un proche collaborateur de Bonifay (sur Messara et Pirates), Jacques Terpant, relayé sur Auracan suite à la démission, justement, des auteurs sus-mentionnés.

Petit extrait…

[Le métier de bédéiste] dura à peine la génération de ceux qui l’avaient inventé et de ceux qui les avaient lus. D’abord, il quitta les journaux qui l’avaient vu naître, progressivement, pour aller vers des supports plus durables, vers des livres, souples d’abord, qui ressemblaient encore au journal où l’on avait grandi, puis cartonnés, plus beaux, plus chers aussi.

Puis on se dit que c’était de l’Art, on lui donna un numéro, le neuvième – derrière la télévision, cela aurait peut-être dû nous inquiéter. Puis on se dit qu’il fallait davantage ressembler à des « vrais livres » avec plus de pages, plus ressemblant à un « Gallimard », là où est la culture, car on le vaut bien.

Et puis on s’est rendu compte que contrairement aux journaux dont nous venions et où l’on avait un métier, comme Franquin et Jijé nous en avaient si bien parlé, là, chez les écrivains, ce n’était pas le cas, et ceci depuis toujours, que Voltaire était businessman, que Joseph Delteil vendait de la blanquette de Limoux, que Julien Gracq enseignait la géographie…

Bien sûr, on s’est adapté, on a fait plus vite, plus noir et blanc, plus enlevé, on a essayé de dire que les gens qui font du dessin travaillé, sur lequel on passe du temps, de ce temps qui empêche d’enseigner la géographie ou de vendre du mousseux, que tout cela c’est un peu vieille école. On a essayé.

Et puis ils ont commencé à partir, à dire que pour eux, c’était fini, que si c’était cela, ce n’était plus un métier cela ne valait plus la peine… Le dernier en date fut Bonifay, un compagnon de nombreuses années. Alors vous me posez la question : réagir à cela? À ces départs. J’ai connu la fin des journaux, je suis arrivé trop tard, j’ai connu la publicité et ses budgets impressionnants, et je l’ai vu disparaître. Même notre support historique – le livre – va disparaître à long terme et peut-être notre mode d’expression avec. Nos vignettes dessinées paraîtront peut-être bien désuètes en regard des images qui bougent… Peut-être n’aurons-nous été, face au temps qui est le seul juge, qu’un moyen d’expression fugace, de la dernière période du texte imprimé?

(…) Quoiqu’il se passe, que l’on ne compte pas sur moi abandonner. Je suis dans la tranchée et je tiens la position. »

 

Visiblement, outre-mer, la réflexion semble lancée.

De mon côté, tel qu’annoncé au départ : pas de constat au-delà de ceux partagés par ces auteurs que je me permets de relayer ici.

Avec promesse de poursuivre, s’il y a lieu, ces relais, au fil des semaines.