Willy Protagoras enfermé dans les toilettes : De bruit et de fureur
Scène

Willy Protagoras enfermé dans les toilettes : De bruit et de fureur

WAJDI MOUAWAD termine la saison théâtrale la plus affairée de sa vie avec la création de sa première pièce, Willy Protagoras enfermé dans les toilettes. Sur scène, une vingtaine de comédiens s’éclatent dans une histoire d’amour, de guerre et  d’anarchie.

«Le théâtre, c’est l’enfance enfin retrouvée», pourrait déclarer Wajdi Mouawad en paraphrasant Bataille. C’est ce qui ressort de ses spectacles. L’enfance perdue, retrouvée ou désirée, qui ne saurait dire où elle commence et où elle finit: le dramaturge en a fait le thème de son théâtre. Une ouvre qui s’amorce dans l’enfermement des toilettes, et s’achève – pour l’instant – dans la promesse de liberté qu’offre le littoral.

L’enfant exilé du Liban aura bientôt trente ans. Pour dire adieu à sa vingtaine, il s’est payé une saison d’enfer avec trois mises en scène (dont Trainspotting et Odipe roi) et une adaptation fort remarquée de Don Quichotte au TNM. Mais c’est la création de sa première pièce, Willy Protagoras enfermé dans les toilettes, écrite alors qu’il n’avait que 22 ans, qui le réjouit actuellement. Sept ans et bien des projets plus tard, Willy ouvrira enfin la porte des chiottes, où il s’est enfermé pour apaiser un chagrin d’amour, mais aussi pour résister aux intrus qui envahissent l’appartement familial à Beyrouth. Willy prend son envol cette semaine, au Carrefour de théâtre de Québec, puis sera à Montréal, au studio André-Pagé, dès le 30 mai.

Willy, c’est le regard sur la vie d’un adolescent qui ressemble à Wajdi; avec ses doutes, ses angoisses, sa révolte et son insatiable désir d’exprimer les choses pour mieux dénoncer les injustices.

La semaine dernière, au studio André-Pagé de l’École nationale de théâtre, le metteur en scène veillait aux derniers détails des scènes de Willy Protagoras enfermé dans les toilettes. Curieux personnage que Wajdi Mouawad en répétition. Pieds nus et en pantalon de pyjama, il donne ses notes aux comédiens avec le sérieux d’un professeur face à une classe de finissants. Mais il peut être parfois aussi cabotin qu’un Paul Buissonneau, par exemple. Ce judicieux mélange de rigueur et de plaisir caractérise autant sa personnalité que son travail.

La salle de répétition ressemble à une classe de jeunes acteurs. Une vingtaine de comédiens font partie de la distribution de Willy Protagoras, dont des fidèles de l’auteur d’origine libanaise (David Boutin, Steve Laplante, Miro, Manon Brunelle) et de nouveaux venus (Éric Bernier, Dominique Quesnel). Le rôle de Willy sera défendu par Mouawad à Québec, puis Pascal Contamine prendra la relève aussitôt qu’il aura terminé Le Chant du dire-dire, à l’Espace Go.

Après Littoral et Odipe roi, le metteur en scène collaborera pour la troisième fois avec Mathieu Farhoud, un jeune musicien de 24 ans, tombé dans la création quand il était petit (il est le fils d’Abla Farhoud et de Vincent Dionne, du duo Dionne et Brégent).
Le hasard fait bien les choses. Wajdi Mouawad, l’homme-orchestre du théâtre montréalais, ne pouvait pas mieux trouver que Farhoud pour réaliser la conception sonore du spectacle et diriger les comédiens-musiciens qui s’exécuteront sur scène. Comme Mouawad, Farhoud est un rêveur et un touche-à-tout. Il a eu la piqûre pour la création artistique grâce à … Luke Skywalker! Digne représentant de sa génération, Farhoud fait autant référence à Star Wars qu’à Prokofiev, ou à Maria Callas qu’à Quentin Tarantino. «Mathieu peut jouer Le Danube bleu avec une canette de Coke», dit Mouawad pour résumer l’esprit inventif de son partenaire.

«Quand Wajdi m’a raconté l’histoire de Willy Protagoras, explique le musicien, il faisait toutes sortes de bruits avec sa bouche. Dans sa tête, c’était déjà très musical. Je me suis dit que ce serait le fun de donner une ambiance musicale à son texte. Car la musique accompagne les mots. Elle n’est ni accessoire ni envahisssante.

«Wajdi exige que la musique soit présente dès la première répétition. Je compose donc sur le terrain. Je connais le texte par cour. J’ai besoin d’entendre les comédiens, le rythme de leur voix, de leur respiration…»
« Il y a quelque chose de très organique dans la musique de Mathieu, dit le metteur en scène. Elle convient parfaitement au rythme de mon théâtre. En répétition, je regarde les enchaînements en tournant la tête pour mieux tendre l’oreille. J’entends presque, la pulsation cardiaque des acteurs.»
«Wajdi est lyrique au maximum: il n’a pas peur des extrêmes, ajoute Mathieu Farhoud. C’est ce que j’aime de son théâtre. On peut se laisser gagner par l’histoire. Puis, tout à coup, il y a un décrochage: une scène vient nous rappeler que nous sommes au théâtre, en train de regarder jouer des comédiens. C’est comme un double niveau de conscience. Nous sommes spectateurs de notre propre croyance.»

Pour Wajdi Mouawad, la création deWilly Protagoras constitue la fin d’un cycle: «Je ne veux plus écrire sur la guerre, le Liban, la famille. Je veux passer à autre chose.»
Souhaitons qu’en changeant de cycle, l’auteur garde toujours son regard d’enfant sur la vie. Ce mélange de révolte et d’émerveillement, unique dans la création théâtrale montréalaise.

30 mai au 13 juin
Studio André-Pagé
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