Un paysage / Eine Landschaft / A landscape : Nature morte
Fleuron de l’avant-garde québécoise, Recto-Verso honore cette année une première invitation au Carrefour. La compagnie de Québec y reprendra Un paysage / Eine Landschaft / A landscape, un spectacle multidisciplinaire conçu pour déboussoler les sens.
Quinze ans après avoir entrepris son travail d’exploration et d’intégration de la technologie et des arts médiatiques au sein du spectacle théâtral, Recto-Verso commence à récolter le fruit de son labeur. Son installation-performance Lumens, créée en 1996, a été présentée dans le cadre du Mois Multi. Après un détour par le High Performance Rodeo de Calgary, sa machination son, écran et lumière Un paysage/Eine Landschaft/ A landscape sera reprise au Studio In Vitro dans le cadre du Carrefour. Une reconnaissance stimulante, quoique tardive, pour Pascale Landry et Émile Morin, principaux animateurs de cette compagnie d’avant-garde.
Un paysage… prend sa source dans Paysage sous surveillance du poète et dramaturge Heiner Müller, auquel ont été ajoutés des textes d’Andrée A. Michaud. Dans son texte, presque narratif, l’héritier de Brecht décrit avec force détails un tableau représentant une femme et un oiseau morts. Phrase après phrase, l’espace, les personnages et les objets se créent. Pour ne pas simpifier les choses, le narrateur interroge sa perception de l’image, la fait pivoter, effectue une série de zoom in et de zoom out et propose des scénarios qu’il s’empresse de mettre en doute.
C’est ce mouvement d’avances et de reculs, ce jeu du regard porté sur un objet inerte qui a allumé le tandem Landry/Morin. «Le spectacle reprend les principes de Müller, explique la comédienne Pascale Landry. Müller fait le "focus" sur le tableau, il nous promène du détail au tout. La mécanique inventée par M. Morin reprend cette idée. Il y a des gros plans et des plans rapprochés, le spectateur "focuse" les yeux et les oreilles. On répond au texte d’une manière générale, sans l’illustrer.»
Le dispositif mis en place a de quoi intriguer. D’abord, les spectateurs sont isolés dans une boîte insonorisée face à un écran-fenêtre de cristaux liquides rectangulaire. C’est le tableau de Müller. L’aire de jeu principale, placée de l’autre côté de l’écran-fenêtre, est surplombée par une iposante perche rotative capable de supporter corps et objets inscrits dans le texte. Dans une troisième salle, bleue, une caméra prend des images derrière lesquelles seront apposés divers décors. Dans cet espace multiple et complexe, en perpétuelle mutation, des corps, des sons et des voix raconteront et disséqueront la mort.
«On joue sur les oppositions: il y a une distance entre celui qui regarde et celui qui joue, dit Pascale Landry. Il y a un mur, mais les voix sont amplifiées par des microphones placés très près de la bouche des comédiens, donc ils chuchotent presque à l’oreille des spectateurs assis dans la boîte. Il y a une distance et une proximité qu’on ne retrouve pas avec une scène normale.»
La présence de l’écran encadre les regards de tous les spectateurs, les oblige à voir la représentation sous le même angle. N’est-ce pas enlever une liberté à celui qui regarde? Émile Morin ne croit pas, non: «Dans la majorité des constructions théâtrales, on demande de "focuser" sur un endroit, expose-t-il. Il peut y avoir deux ou trois actions de front, mais la mécanique est telle qu’on nous dit où regarder.» Recto-Verso a seulement poussé cette logique à l’extrême.
Structure fragmentée – la séquence la plus longue ne dure que six minutes -, absence de liens cause/effet, multiplication de l’information sensorielle, sensation de claustration, Un paysage... ne vise qu’un seul but: bousculer les habitudes du spectateur. Lui en mettre plein la gueule. «Dans le bon sens du terme, précise Émile Morin. À mon avis, c’est un show très doux…»
Du 11 au 15 mai
Au Studio In Vitro
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