Scène

Pop-corn : Mourir à tue-tête

Avec ses cadavres révolverisés sur scène, son hémoglobine, ses outrances, sa façon très prosaïque d’appeler un chat un chat, Pop-corn s’éloigne résolument des comédies légères que le Théâtre Juste pour rire sert habituellement à son public.

À l’entrée de la salle du TNM, une innocente petite pancarte met en garde le public contre le contenu potentiellement choquant de la pièce qu’il s’apprête à voir. Avertissement superflu, destiné aux spectateurs par trop frileux? Que non! Avec ses cadavres révolverisés sur scène, son hémoglobine, ses outrances, sa façon très prosaïque d’appeler un chat un chat, Pop-corn s’éloigne résolument des comédies légères que le Théâtre Juste pour rire sert habituellement à son public. Au vu de cette satire très noire, on peut dire que le populaire auteur britannique Ben Elton a un don certain pour la réplique qui tue…

Traduite crûment par René Gingras, Pop-corn fait se rencontrer deux univers aussi stéréotypés l’un que l’autre: la décadence clinquante hollywoodienne et la violence primaire. En confrontant un cinéaste oscarisé mais à la morale élastique (Guy Nadon, égal à lui-même) à un couple de tueurs déjantés qui se réclame ouvertement de la violence de son oeuvre, la pièce utilise, délibérément, les armes mêmes de ce qu’elle dénonce: une oeuvre racoleuse et sanglante, qui fait de la violence un divertissement. Qui vit par l’épée…

Le cinéaste, qui se drape dans sa vision d’artiste, voit la violence de ses films se retourner contre lui, lorsqu’il est pris en otage, en compagnie de ses proches, par Scout et Wayne, les Bonny et Clyde du pauvre. Ne s’embarrassant pas de subtilités, mais jouant au contraire sur le grossissement du trait, Ben Elton décoche des flèches à la ronde, et écorche le milieu cinématographique, campé dans toute sa superficialité (voir l’épouse hystérique, jouée avec la surexcitation voulue par Anne Bédard), son cynisme et son hypocrisie – rien d’inédit là, vous en conviendrez…

Cette pièce percutante, futée, et ultimement divertissante, malgré son poids de violence – c’est là le paradoxe que le texte décrie -, est elle-même montée, très efficacement, à la façon d’un film de série B. La souple et dynamique mise en scène d’Yves Desgagnés déploie unarsenal de moyens généralement peu utilisés à la scène: générique, effets spéciaux, et un peu de nudité gratuite, pour faire bonne mesure avec l’univers dépeint.

Sa direction d’acteurs fait aussi écho à la faune caricaturale, excessive, qui s’agite dans Pop-corn. En starlette plantureuse, Maude Guérin réchauffe l’ambiance avec un grand numéro de séduction que n’aurait pas renié Marilyn. Emmanuel Bilodeau et, surtout, Suzanne Lemoine incarnent un couple aussi terrorisant qu’infantile, créatures issues de la culture médiatique populaire, dont ils anônnent les phrases toutes faites. Particulièrement elle, dont la naïveté enfantine renvoie aux rôles campés à l’écran par Juliette Lewis. Avec ses références à la droite américaine, la pièce n’est d’ailleurs pas sans évoquer la polémique créée par Natural Born Killers, d’Oliver Stone.

Pop-corn tient le pari d’une grosse charge (laquelle, à trop se cantonner dans un registre outrancier, paraît se désarmorcer un peu en fin de course), teintée d’un certain élan moralisateur qu’on pourra trouver agaçant. Elton frappe pourtant juste lorsqu’il vise la déresponsabilisation sociale, et pas uniquement celle des artistes. Même s’il met, un peu étrangement, cette analyse dans la bouche d’un tueur peu sophistiqué («Aujourd’hui, on a une excuse pour tout! C’est jamais la faute à personne», assure Wayne), difficile de réfuter que l’Amérique vit sous le règne d’une victimisation généralisée, de la «tentation de l’innocence», comme la nommerait Pascal Bruckner. Ainsi que le rappelle judicieusement l’épilogue de Pop-corn, on trouve toujours quelqu’un d’autre à blâmer… et souvent même à poursuivre.

En gavant le public d’humour noir et de meurtres, Elton fait peut-être moins le procès des artistes qu’il ne renvoie celui-là à ses propres responsabilités. C’est lui qui détient la zapette, finalement…

Jusqu’au 29 juillet
Au TNM

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