Les Voisins : La banlieue suspendue
Scène

Les Voisins : La banlieue suspendue

Si la famille, ce sont les amis qu’on n’a pas choisis, les voisins, eux, forment une seconde famille imposée par le hasard de la vie et des déménagements.

Si la famille, ce sont les amis qu’on n’a pas choisis, les voisins, eux, forment une seconde famille imposée par le hasard de la vie et des déménagements. Ces purs étrangers peuvent parfois devenir des intimes, des ennemis, ou les deux à la fois. C’est le cas des trois couples des Voisins, ces tranquilles banlieusards de Laval qui se côtoient pour mieux se haïr.

En 1980, les auteurs Claude Meunier et Louis Saia se sont inspirés de ces spécimens de la vie urbaine pour écrire leur comédie caricaturant la banlieue, ce laboratoire de la société de consommation nord-américaine. Depuis, la pièce Les Voisins est devenue un classique du théâtre québécois, une des oeuvres – avec certaines de Marcel Dubé ou de Michel Tremblay – favorites des étudiants en théâtre au secondaire et au cégep.

Plus de 20 ans après sa création-événement chez Duceppe, cette production est de retour au même endroit, dans une mise en scène de Denis Bouchard, avec un all star cast. Disons-le tout de suite: la pièce de ces deux maîtres de l’humour absurde n’a pas vieilli d’un iota. Elle demeure très très comique, mais aussi immensément cruelle.

De Molière à Ionesco, c’est le propre des grands comiques que de nous faire rire de nos travers pour mieux cerner la bêtise et la cruauté humaines. Si, aujourd’hui, Claude Meunier affirme en entrevue avoir de l’empathie pour les personnages de La Petite Vie, le créateur de Ti-Mé a fait un portrait impitoyable du monde de son enfance.

Les Voisins nous montre une demi-douzaine de personnages névrosés, mesquins, égocentriques et uniquement préoccupés par leur petit confort matériel. Il n’y a pas d’amour dans cette pièce. Les couples vivent ensemble parce que chacun refuse de vivre seul. Ils sont incapable de se parler. En fait, personne (couple, famille ou voisin) n’est à l’écoute des autres. Tout le monde est enfermé dans sa petite bulle. À la fin, quand le drame arrive (il ne se passe pratiquement rien dans cette pièce, l’action dramatique se trouvant dans les répliques incroyables), on réalise que si ces personnages sont si seuls et petits, c’est parce qu’ils sont terriblement angoissés par la mort.

Dans un très beau décor de Pierre Labonté, avec des bungalows suspendus au ciel, le metteur en scène Denis Bouchard a su conserver le côté dramatique sans sacrifier le rythme et l’humour du texte. Mon seul bémol serait une maladroite actualisation de l’histoire: la production fait référence au sida, à Internet et à l’effet de serre, alors que cette pièce est ancrée dans la fin des années 70, la scène centrale étant un diaporama du voyage de Bernard et Jeannine en Europe…

Denis Bouchard a bien dirigé une distribution presque sans faille.

En haut de ma liste, Diane Lavallée. On savait que la Thérèse de La Petite Vie, était une comédienne admirable. Or, ici, elle fait preuve de génie. La scène où elle a une absence, assise à la table de cuisine de ses voisins, est un grand moment de théâtre. Luc Guérin est remarquable en Bernard. Le comédien n’en fait pas trop et arrive même à montrer la vulnérabilité de ce looser plus proche de sa haie que de sa famille. Martin Drainville n’avait pas été aussi juste dans un rôle au théâtre depuis longtemps. Louis Champagne, Sonia Vachon et Sylvie Moreau sont également très bons, mais en mettent parfois un peu trop. Et dans le rôle des enfants, Louis-Martin Despa et Sandra Dumaresq démontrent beaucoup de naturel et de tempérament.

Finalement, avec Les Voisins (comme avec les grandes oeuvres absurdes du 20e siècle), Meunier et Saia dressent un sombre constat. Ils nous montrent que le rire est le propre de l’homme qui a peur. Car "rien n’est plus comique que le tragique".

Jusqu’au 19 mai
Au Théâtre Jean-Duceppe