Méphisto, le roman d’une carrière : Histoire à double sens
Pour la rentrée, la Salle Fred-Barry présente Méphisto d’ARIANE MNOUCHKINE, mis en scène par DANIEL PAQUETTE. Un spectacle qui émerveille par la beauté de ses images tout en empêchant le spectateur de se reposer sur une esthétique. Beau, intelligent, troublant.
L’Homme est-il un être d’honneur ou d’orgueil? Voilà une bien sournoise question, qui s’agrippe insidieusement à la conscience à la sortie de ce Méphisto. C’est dans l’Allemagne des années 20 que l’on nous convie à titre d’observateurs privilégiés de la troupe du Théâtre de Hambourg. Ses acteurs, tous plus fougueux les uns que les autres, travaillent avec ferveur à un art de la révolution. Mais bientôt, ceux-ci voient se lézarder les convictions devant la scission inévitable entre sociaux-démocrates et communistes, jusqu’à l’élection du parti nazi. De propagande, le théâtre devient résistance. Ou fuite.
La Société Richard III, qui nous offrait l’année dernière une Cerisaie à saveur politique, continue ici son étude de l’Homme à travers les grands conflits de l’histoire. Toute l’attention se porte sur les circonstances d’un tel éboulement. Pas vraiment de décor sinon les coulisses d’un théâtre, avec ses pendrillons, son arrière-scène, et surtout ses acteurs, assis là dès notre entrée, à parler entre eux en nous jetant des regards curieux. Qui sont-ils? On ne le sait pas encore. Par un ingénieux jeu de miroirs où le regardant et le regardé se confondent, on nous invite sur-le-champ à prendre la responsabilité de témoin d’une représentation. Cet appel se manifeste sous plusieurs aspects, dont l’étonnante simplicité des costumes, se résumant à quelques accessoires symboliques savamment choisis par Charles-Antoine Roy. Effet également réussi par la différence marquée de style de jeu: clownesque lors des numéros de cabaret, grave dans les extraits de Tchekhov. Notons aussi la portée de ce tableau poétique chorégraphié par Caroline Dubois. On nous amène avec habileté jusqu’à l’émotion voulue avant de provoquer une cassure nous obligeant à en questionner la cause.
Pourtant, le bât blesse un peu dans le dédoublement des interprètes. Chaque personnage revêt ici une double identité: celle, fictive, du roman de Klaus Mann, mais aussi celle d’un porte-parole de l’histoire. Or, ce dédoublement passe parfois inaperçu ou, à l’inverse, prête à confusion. C’est d’autant plus regrettable que cette mise en scène de Daniel Paquette émerveille par ailleurs. De la finesse des symboles (mouchoirs jaunes apparaissant dans les mains des Juifs comme des fleurs fanées) aux clins d’oeil musicaux, en passant par la surprenante intensité des sifflets de train et par l’étrange éclairage inversé d’Isabelle Lapointe, recréant un parterre allumé que l’on devine derrière un rideau.
Il faut voir ce Méphisto, ne serait-ce que pour le jeu rafraîchissant de Julie Gagné, sachant faire rigoler autant qu’émouvoir, mais aussi de Maxime Cournoyer, Geneviève Schmidt, Amélie Bonenfant et Nathalie Costa. Si toutefois Patrick Beauchemin nous livre un Hendrik Höfgen qui mériterait davantage de nuance, il faut souligner la complexité de ce personnage-clé devant redéfinir le concept d’intégrité. Mais qu’est-ce que l’intégrité dans une situation de conflit historique? Une question que l’on n’a pas fini de se poser…
Jusqu’au 4 octobre
À la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
Voir calendrier Théâtre