Rencontre: Gilles Pelletier : L'âge de passion
Scène

Rencontre: Gilles Pelletier : L’âge de passion

Les aînés d’abord! La saison s’amorce au Théâtre du Rideau Vert avec Quatuor, comédie dramatique du Britannique Ronald Harwood dans laquelle quatre artistes lyriques lancent leur chant du cygne. Parmi eux, le comédien au long cours GILLES PELLETIER, qui se remet encore en question, après 60 ans de métier.

C’est décidé, Gilles Pelletier emménage à l’hospice. Rencontré dans son bel appartement d’Outremont, le fringuant septuagénaire annonce qu’il passera tout le mois d’octobre dans une résidence pour artistes à la retraite… installée sur la scène du Rideau Vert. Entouré de Patricia Nolin, Lénie Scoffié et Raymond Cloutier, il joue dans Quatuor un ténor buté, qui tente de convaincre ses anciens compagnons de scène d’offrir une nouvelle interprétation de leur plus grand succès, l’acte III du Rigoletto de Verdi. Le jeunot Philippe Soldevila – à peine la quarantaine! – assure la mise en scène de cette partition théâtrale pour voix matures, traduite par Pierre-Yves Lemieux.

Reggie, Wilf et Cissy passent leurs journées à s’échanger des confidences et à ressasser leurs souvenirs dans une résidence pour chanteurs retraités. L’arrivée impromptue de la diva Jean Horton, ex-épouse de Reggie, donne aux amis l’idée de réinterpréter leur air d’opéra favori lors d’un spectacle intime. Seule la nouvelle arrivée s’y oppose, convaincue qu’ils se couvriront de ridicule. Et elle n’a pas tort, remarque Gilles Pelletier. "Ils ne sont plus capables de chanter ça! Mais Reggie, mon personnage, dit que pour lui, performer c’est se sentir vivant. Il ne craint pas le public."

Gilles Pelletier avoue que ce Reggie lui cause quelques soucis. "Je ne suis pas encore arrivé à le cerner complètement, peut-être parce qu’il y a quelque chose de très britannique dans son attitude. Il est guindé, et pourtant très enthousiaste. Quand je m’emballe, c’est difficile de ne pas redevenir Gilles Pelletier!" Le comédien louange le talent de l’auteur Ronald Harwood, dont les personnages sont truculents et crédibles, profondément humains. "Reggie assume son vieillissement mais il y a tout de même dans cette pièce quelque chose qui fait mal, comme si les protagonistes disaient: on est vivant, mais pas pour longtemps, alors profitons-en. On sent la mort qui rôde."

On pourrait penser que la distribution de Quatuor se sent particulièrement interpellée par ces artistes usés et inutiles, qui renvoient les comédiens grisonnants à leur futur proche. Il n’en est rien, assure Gilles Pelletier. "Laurence Olivier, le plus grand acteur du siècle, est pratiquement mort en jouant. Tant qu’il y a une demande, tant qu’on a de bonnes jambes et une bonne mémoire, on peut continuer, contrairement aux chanteurs, qui doivent s’arrêter plus tôt, pour des questions physiques. Le chant exige beaucoup du diaphragme, des abdominaux, des cordes vocales. C’est athlétique. Tandis qu’un comédien évolue et que, par exemple, on ne me propose plus des rôles de père comme dans le téléroman L’Héritage mais de grand-père, souvent moins exigeants."

Simplicité volontaire
En 60 ans de carrière, Gilles Pelletier s’est mesuré à une centaine de rôles. Il n’a qu’un regret, ne jamais avoir interprété le roi Lear. "Aujourd’hui, je devrais probablement refuser, parce que je serais incapable de jouer cela 30 soirs de suite", se désole-t-il. Ce qui ne veut pas dire que le vieux routier s’apprête à tirer sa révérence. Il vient de terminer les représentations de Peer Gynt, mis en scène par Peter Batakliev, et sera de la création du prochain Denis Marleau, adapté d’une nouvelle de Tchekhov. "Mon âge n’est pas un handicap", tranche-t-il.

"Ce dont je suis particulièrement fier, c’est de ne jamais avoir connu de période creuse. C’est uniquement mon métier d’acteur qui m’a fait vivre, je n’ai jamais eu de salaire. J’ai même mené une vie de riche, possédé un bateau de millionnaire et une maison, révèle celui qui, avant de découvrir le théâtre, se destinait à la marine. Comme dirait ma femme: j’ai jeté mon argent à l’eau! J’ai dépensé sans m’inquiéter, parce que j’avais confiance en la vie." Résultat: à 78 ans, les offres continuent d’affluer, même s’il refuse catégoriquement de se prêter au jeu des auditions.

Lorsque l’on demande à Gilles Pelletier s’il est satisfait de son parcours, il répond en citant le grand Olivier, qu’il admire tant. "Vu de l’intérieur, les belles carrières comme la sienne se composent de quelques grands succès et de plusieurs affaires ordinaires. Même les grands sont angoissés par leur métier. Olivier disait qu’au delà des théories, jouer la comédie, ce n’est rien de plus que mouiller sa chemise en répétition, puis jouer en respectant le public."

Bûcheur infatigable, et conteur hors pair, Pelletier admire la franchise, tant de la part du public que des critiques. "Il faut qu’il se passe quelque chose au théâtre, que le public ait une révélation, soit ému, transformé! Ici, nous sommes trop gentils, nous ne huons jamais un spectacle. Pourtant, nous sommes rarement étonnés."

Le metteur en scène Philippe Soldevila bénéficie de son entière confiance, même si le comédien réserve ses louanges pour plus tard. "Il faut attendre que le spectacle se produise pour juger." Que Soldevila ait la moitié de son âge ne le gêne aucunement. "La quarantaine, c’est l’âge où l’on produit le mieux." Gilles Pelletier, lui, s’est découvert à 40 ans une énergie insoupçonnée, qu’il tente encore aujourd’hui de maîtriser. "Quand ça allait mal dans un rôle, il m’est arrivé de sortir la béquille énergie, alors que j’aurais dû fignoler davantage mon interprétation. C’est facile pour moi d’aller chercher l’intensité, le ton et le mouvement. Mais j’ai découvert que l’énergie ne remplace pas l’approfondissement et la simplicité…"

Du 30 septembre au 25 octobre
Au Théâtre du Rideau Vert
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