La Cloche de verre : Prison de verre
Après Je ne sais plus qui je suis et Hamlet-Machine, la metteure en scène BRIGITTE HAENTJENS retrouve l’actrice CÉLINE BONNIER pour La Cloche de verre, un bouleversant solo inspiré par l’œuvre-destin de l’écrivaine américaine Sylvia Plath.
Dans le foyer du Quat’Sous, la fébrilité d’avant-spectacle est palpable. Brigitte Haentjens profite de notre entretien pour prendre du recul sur la création qu’elle s’apprête à livrer: "J’ai découvert l’écriture poignante de Sylvia Plath alors que je travaillais à la création de Je ne sais plus qui je suis, un spectacle chorégraphique traitant de la colère des femmes. Ce fut une révélation incroyable. La Cloche de verre est l’une des premières œuvres d’auto-fiction, un roman percutant qui a influencé profondément la littérature contemporaine, il ne peut laisser personne indifférent."
Publié en 1963, The Bell Jar (La Cloche de détresse en français) devient rapidement le roman-culte de toute une génération de femmes. Sylvia Plath s’étant donné la mort un mois après la parution du livre, son destin est à jamais indissociable de ses écrits. Outre cet unique roman, elle a laissé une œuvre dont l’intérêt littéraire est aujourd’hui reconnu à travers le monde. Comme le précise la metteure en scène, "Sylvia était une écrivaine très talentueuse, mais sa grande fragilité psychique ne lui a pas permis d’affronter ses démons. Dans l’Amérique conformiste des années 50, elle n’a pas su réconcilier ses désirs d’être mère, épouse et créatrice".
Lorsque Brigitte Haentjens réalise que la solitude abyssale du personnage impose la forme du soliloque, elle pense aussitôt à Céline Bonnier pour l’incarner. "Cette partition, en plus de faire appel aux talents de créatrice de Céline, rend justice à son exceptionnelle dextérité d’actrice." Jointe par téléphone, l’incandescente comédienne semble tout à fait consciente de l’ampleur du monologue qu’elle s’apprête à défendre: "Cette expérience me confronte à l’un des plus grands vertiges que j’ai connus. Paradoxalement, elle exige de moi contrôle et abandon. Le terrain de jeu extrêmement précis que Brigitte a fixé me donne une très stimulante liberté. Cette femme se démarque de toutes celles que j’ai déjà interprétées, elle m’oblige au contrôle, à la retenue, à l’implosion."
Le principal défi des deux créatrices fut de choisir, parmi la multitude de situations, celles qu’il fallait conserver pour traduire avec justesse l’essence du personnage d’Esther Greenwood, le double fictionnel de l’écrivaine. "Davantage qu’à une adaptation, j’ai l’impression d’avoir procédé à une concentration scénique de l’œuvre, dit Haentjens. À force d’épurer, de réduire à l’essentiel, je pense que se sont dégagées les forces souterraines du roman. Entre autres, la constante et obsessionnelle pulsion de mort dont le personnage fait preuve. Le spectacle, en respectant fidèlement la trame du roman, fait entendre les véritables motivations de cette femme, la nature profonde de sa chute."
La fin d’un cycle
Si cette nouvelle création est à considérer comme le dernier volet d’une trilogie abordant l’accomplissement artistique des femmes, Haentjens se défend bien d’avoir prémédité un tel cycle: "Plus je vieillis, plus les femmes artistes m’interpellent. Ce n’est pas un territoire que j’ai délibérément choisi d’explorer, il s’impose à moi." Ayant fondé sa compagnie afin de permettre à ses spectacles de s’inscrire dans une continuité, la directrice de Sibyllines ne pouvait que se réjouir de la coproduction que lui proposait le directeur artistique du Quat’Sous. "C’est très agréable de se sentir appuyée et respectée par une telle équipe", précise celle qui n’avait pas travaillé au Quat’Sous depuis 1989.
Dans le paysage théâtral québécois, Brigitte Haentjens occupe une place unique. Non seulement est-elle de ces femmes artistes qui prônent une création à contre-courant, mais elle fait de sa démarche un véritable credo. Voilà ce qu’elle réplique quand on lui parle de son impressionnante intégrité: "Je n’ai pas de mérite, il m’est impossible d’aller à l’encontre de ce en quoi je crois. La situation des femmes créatrices n’est pas tellement plus simple aujourd’hui qu’à l’époque de Sylvia Plath. Si j’accepte de payer le prix de ma liberté, je réalise aussi à quel point je suis choyée de mener un tel parcours." Et nous, d’avoir à proximité une artiste de sa trempe.
Jusqu’au 6 mars
Au Théâtre de Quat’Sous
Voir calendrier Théâtre