Rita Gombrowicz : En toutes lettres
Scène

Rita Gombrowicz : En toutes lettres

Rita Gombrowicz, une ambassadrice exceptionnelle pour le plus grand écrivain polonais.

En 1964, la Québécoise Rita Labrosse, une étudiante dans la vingtaine, fait en France la rencontre de l’homme de lettres polonais Witold Gombrowicz. Uni par les liens du mariage en 1967, le couple est séparé par la mort de l’auteur en 1969. Légataire universelle d’une œuvre aujourd’hui traduite en plus de 35 langues, Rita Gombrowicz a consacré la majeure partie de sa vie à la postérité d’un écrivain qui aurait célébré ses cent ans cette année. Nous avons rencontré la dynamique Parisienne lors de son bref passage à Montréal, afin de discuter autour de Ferdydurke, le premier roman de Gombrowicz, actuellement porté à la scène par Carmen Jolin entre les murs du Théâtre Prospero.

Quelle signification octroyez-vous au terme Ferdydurke?

Le titre du premier livre de Gombrowicz, Mémoires du temps de l’immaturité, avait donné un argument aux critiques qui voulaient le démolir. Pour Ferdydurke, il a volontairement choisi une expression qui ne possède aucun sens précis, en plus de se prononcer difficilement en polonais. Depuis, des chercheurs ont découvert qu’un personnage de Babbitt de Sinclair Lewis (un écrivain américain qu’on a aujourd’hui oublié, mais qui a reçu le prix Nobel en 1930) s’appelait Freddy Durkee. Il y a d’ailleurs, dans ce livre, une problématique du modernisme qui aurait pu inspirer Gombrowicz. Ce choix constitue peut-être aussi un hommage à la littérature anglo-saxonne, qu’il aimait beaucoup. Par la suite, il a continué à donner à ses œuvres des titres qui, comme Bakakaï, ne possèdent pas de sens particulier.

Paru en Pologne en 1937 et en France en 1958, Ferdydurke décrit les mésaventures singulières d’un trentenaire nommé Jojo. Comment résumeriez-vous son parcours?

Dans la première partie, Jojo retourne à l’école sous la surveillance du professeur Pimko, le prototype même du pédagogue pédant et autoritaire. Là, Gombrowicz démolit le système scolaire et se moque des enseignants. Traité de jeune vieillard, le personnage se voit placé chez les Lejeune, une famille dite "moderne". À cette famille appartient une lycéenne de 17 ans dont le héros tombe éperdument amoureux. Comme cet engouement n’est pas réciproque, il espionne la jeune fille afin de la prendre en défaut et ainsi se guérir de son amour. Plus il cherche à lui trouver des failles et plus il réalise qu’elle est impeccable. Dans cette partie très amusante, où toute la maisonnée finit par se battre, on creuse les sentiments les plus honteux, ceux qu’on cache d’ordinaire. C’est toujours comme ça chez Gombrowicz, le personnage introduit un élément perturbateur et chacun est révélé à soi-même et aux autres. Dans la dernière portion du roman, Jojo se réfugie dans une famille de la noblesse terrienne, un milieu qu’il va également démolir. En fait, Gombrowicz questionne toute la société polonaise de l’époque dans ce roman philosophique. Audacieux, il ose y critiquer une Pologne qui retrouve sa liberté après 120 ans de partage. Toute son œuvre s’y trouve déjà.

En quoi réside selon vous la modernité de Ferdydurke?

Je crois que les questions d’infantilisation et de fausse réputation qui y sont abordées demeurent universelles. Cette volonté d’enfermer les individus dans des programmes ou des idéologies s’avère encore très présente. Le système qu’il démasque, c’est tout le fonctionnement des rapports humains au fond, cette façon de se déformer les uns les autres.

Estimez-vous que son œuvre a conservé cette force subversive?

Tout à fait! D’ailleurs, Sartre qualifiait ses romans de machines infernales. Gombrowicz aimait la Pologne d’une manière si profonde qu’il voulait la changer, l’inciter à mûrir. Ses lecteurs comprenaient cette exigence, mais tous les pouvoirs ont toujours été contre lui. Il était guerrier par l’intermédiaire de ses écrits, un guerrier dans le sens intellectuel du mot. Refusant de choisir un camp, il déclenchait la polémique en sachant que sa pensée ne pouvait être récupérée politiquement par quelque régime que ce soit.

Qu’est-ce qui prédispose les contes et les romans de Gombrowicz à l’adaptation scénique?

Il disait lui-même que toute son œuvre était théâtre. Dans tous ses romans, le narrateur occupe la fonction d’un metteur en scène diabolique, d’un démiurge dépassé par sa propre machinerie. Pour moi, Gombrowicz était un comédien, c’est-à-dire qu’il était le comédien de lui-même, de sa forme. Semblable à Charlie Chaplin, il était l’acteur par excellence!

Jusqu’au 13 novembre
Au Théâtre Prospero
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