Sophie Cadieux : Petit monstre
Scène

Sophie Cadieux : Petit monstre

Sophie Cadieux s’apprête à retrouver Braidie, l’héroïne de Cette fille-là, une pièce de la dramaturge canadienne Joan MacLeod créée en 2004 par Sylvain Bélanger.

En mars 2004, à La Licorne, Sophie Cadieux en bouleversait plus d’un en défendant Cette fille-là, un solo de la dramaturge canadienne Joan MacLeod, véritable pièce d’orfèvrerie brillamment traduite par Olivier Choinière. Sous la houlette de Sylvain Bélanger, directeur du Théâtre du Grand Jour dont c’était la première mise en scène, la jeune comédienne a impressionné. On la savait apte à incarner la candeur et l’amertume de l’enfant rebelle, mais le personnage de Braidie lui faisait emprunter de nouvelles avenues, dévoilait d’autres facettes de son talent. Pleinement engagée, l’actrice entraînait le spectateur bien au-delà du petit quai en ruine où Braidie a l’habitude de se réfugier. Ces jours-ci, c’est-à-dire presque deux ans plus tard, Sophie Cadieux s’apprête à retrouver Braidie. Avant d’entreprendre une tournée d’une quinzaine de villes à travers le Québec, elle s’installe à La Licorne pour un bon mois.

La comédienne se rappelle encore très bien sa première rencontre avec le personnage de Braidie. "Je me souviens du jour où Sylvain m’a prêté la pièce en anglais, The Shape of a Girl, un petit livre vert, broché, dactylographié, comme le journal intime d’une adolescente. Je suis arrivée chez moi et je l’ai dévoré. Ç’a été un contact pur avec le personnage. C’est à partir de ça que nous avons travaillé." En 1997, à Victoria en Colombie-Britannique, une jeune fille de 14 ans, Reena Virk, est sauvagement battue puis noyée par un adolescent et sept adolescentes. En s’inspirant de ce meurtre très médiatisé, Joan MacLeod, lauréate d’une quinzaine de prix dont celui du Gouverneur général, aborde avec Cette fille-là le phénomène de l’intimidation au sein des gangs d’adolescentes, une forme particulièrement aiguë de violence collective. Chez les jeunes filles, cet acharnement sur un pair semble plus courant qu’on ne pourrait le croire. Une étude du gouvernement canadien révèle que 75 % des étudiantes du niveau secondaire ont déclaré être verbalement ou socialement agressives. "La violence chez les jeunes filles est difficile à imaginer parce qu’elle est beaucoup plus sournoise, estime Sophie Cadieux. Les filles donnent beaucoup plus dans l’insinuation et l’intimidation que les gars. Elles créent une exclusion avec un jeu psychologique. Avant Reena Virk, on ne croyait pas que ce comportement puisse atteindre de tels extrêmes."

UNE GANG DE FILLES

Braidie a 15 ans. En conflit avec sa mère, elle refuse d’aller à l’école et passe ses journées sur la plage. Hantée par le meurtre d’une jeune fille par une bande d’adolescentes, elle se confie à Trevor, le grand frère absent, et par le fait même au spectateur. "Autant Trevor est une assise, pense la comédienne, une source de stabilité qui ne la juge pas, autant sa mère révèle en elle tout ce qu’elle craint. Toute la violence qu’elle redoute apparaît quand elle interagit avec sa mère et ça lui fait très peur." Replongeant courageusement dans son passé, Braidie constate de troublantes similitudes entre les comportements de sa bande d’amies et ceux qui ont mené ces filles-là, celles dont on parle sur toutes les chaînes de télévision, à commettre ce geste terrible. "Sa fascination presque malsaine pour cette affaire de meurtre, les journaux, la télévision, cela tient au fait qu’elle sonde les extrêmes, le bien et le mal, pense Cadieux. Elle se teste pour savoir si son comportement est assimilable à celui des autres."

Évidemment, ce genre de pièce suscite chez les spectateurs, jeunes et moins jeunes, de vives réactions. "J’ai eu droit à des confessions, explique la comédienne. Des mères, des filles et des gars qui étaient marqués. Je pense à un gars de 25 ans qui est venu me voir dans les loges en pleurant comme un bébé. Il avait retrouvé quelque chose. Il y a cet espace dans la pièce qui permet aux gens de retourner à l’intérieur d’eux. Que tu aies été bourreau, victime ou observateur, tu peux te reconnaître." Pour certains spectateurs, la pièce transcende la question de la violence entre filles pour aborder celle du désengagement citoyen. "Certains y voient un phénomène de société, explique Cadieux, dans le sens où nous avons souvent peur d’agir, de nous engager quand une bataille se déclare ou que quelqu’un commet un vol. C’est un peu ça que Braidie fait. En réagissant à la violence qui se trame dans sa gang d’amies, elle accomplit un geste héroïque, son premier geste d’adulte."

Du 7 février au 4 mars
Au Théâtre La Licorne
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