Coeur de chien : Règne animal
Scène

Coeur de chien : Règne animal

Gregory Hlady signe au Prospero une adaptation carnavalesque de Coeur de chien, la nouvelle de Mikhaïl Boulgakov.

Il nous avait prévenus: Gregory Hlady allait s’autoriser tout ce qu’autorise le réalisme magique. Pas étonnant donc, bien que certains commentateurs s’en soient exagérément étonné ces derniers jours, qu’en périphérie de l’histoire proprement dite, celle d’un chien transformé en être humain par un savant sans vergogne, dans la Russie des années 20, se déploie tout un ballet faisant écho aux multiples strates de sens d’une oeuvre à la fois fantaisiste et hautement politisée.

Le metteur en scène a choisi d’en mettre plein la vue, donc, et la fête est d’abord entre les mains, ou plutôt les pattes, d’un Paul Ahmarani tout simplement stupéfiant, dont il n’est plus permis de douter qu’il fut un chien durant une vie antérieure. Denis Gravereaux, pour sa part, est d’une grande justesse dans le rôle du professeur Transfigouratov, sommité scientifique, habitué de contrôler tout dans les moindres détails, et qui verra la situation lui échapper. Mention spéciale à Sasha Samar et Frédéric Lavallée, très précis dans les divers rôles endossés.

De meilleur ami de l’homme, le bon toutou devient, alors qu’il en prend lui-même les traits, agressif envers l’homme. Envers certains hommes, faut-il préciser, parce qu’au-delà des mauvaises manières, de son penchant pour la bouteille et autres travers, il adhère rapidement aux valeurs de justice sociale et d’équité que véhiculent les principes révolutionnaires du temps. C’est peut-être là que réside l’aspect le plus étonnant du propos de Boulgakov: le nouveau citoyen Bouboulov – ainsi le nomme-t-on – déplaît à son "maître", qui magouille constamment pour obtenir un traitement de faveur des autorités, précisément parce qu’il devient un pur "homo sovieticus", plus en phase avec le système que lui-même.

Bien sûr, alors que Hlady parvient plutôt bien à maintenir, durant les deux heures sans entracte que dure la pièce, un point focal précis, tout autour ça gesticule follement dans le décor un peu bric-à-brac imaginé par Vladimir Kovalchuk, autour d’un module troué de passages et de cachettes, mais permettant une occupation inventive de l’espace scénique.

Si bémol il y a, c’est plutôt dans le lent essoufflement de la pièce, comme s’il avait fallu un ressort dramatique supplémentaire pour justifier les derniers trois quarts d’heure, alors que les positions des protagonistes sont figées en une querelle qui tourne un peu à vide.

Coeur de chien demeure une proposition réjouissante d’invention, une pièce à voir ne serait-ce que pour l’éclatante performance des comédiens, et aussi pour les longues discussions post-spectacle que ne manque pas de nourrir une telle pétarade métaphorique.