Gilles Granouillet : La guerre des autres
Pour son entrée dans l’arène théâtrale montréalaise, le Théâtre Réverbère donne à voir et à entendre, en première mondiale, une pièce du Français Gilles Granouillet, La Maman du petit soldat. De Paris, l’auteur nous en parle.
En France, pays d’abondance culturelle, un grand nombre d’auteurs dramatiques ont la chance de voir leurs textes publiés avant même qu’un projet de création professionnelle ne leur soit rattaché; un privilège réservé chez nous à une poignée de grands noms. C’est donc tout simplement chez le libraire que la metteure en scène Odette Guimond a découvert la pièce de Gilles Granouillet, inédite sur la scène européenne. Conquise, elle s’est dépêchée d’en demander les droits. Le nom ne vous dira sans doute rien. C’est bel et bien la première fois qu’un texte de Granouillet est présenté de ce côté-ci de l’Atlantique, mais ses pièces se promènent allègrement dans toute l’Europe et son talent a vite été reconnu par la Comédie de Saint-Étienne, où il est auteur associé et responsable du comité de lecture.
La plupart du temps, ses histoires prennent racine dans l’intimité et font miroiter à leur surface des enjeux sociaux et politiques. La famille, figure récurrente de ses plus récentes oeuvres, est à son avis le microcosme idéal pour exposer les maux du monde. "Ce sont souvent des familles monoparentales, explique-t-il, dans lesquelles le père est absent, comme il l’est malheureusement assez souvent dans l’éducation des enfants. Dans La Maman du petit soldat, on suit un jeune soldat enrôlé dans une guerre qui n’est pas la sienne, et ça pose la question fatidique: pourquoi ce jeune homme est-il parti? Qu’est-ce qui l’a fait fuir? Ce n’est pas dit clairement, mais on comprend que peut-être quelque chose s’est mal passé avec sa mère."
Raconter l’histoire sous cet angle psychologique serait pourtant réducteur. Ce jeune soldat, au coeur de cette guerre non identifiée (mais qui pourrait bien être celle d’Irak ou d’Afghanistan), entre dans la maison d’une mère et sa fille pour les interroger. Il ne désirait pas ce pouvoir qu’on lui accorde de "tenir deux femmes au bout de son fusil, sans vraiment savoir pourquoi et sans vraiment savoir quoi en faire". Par une série de glissements temporels et spatiaux, la mère et la fille empruntent l’identité de sa propre mère et sa propre soeur, à qui il se met à parler, à tout raconter. "Je m’intéresse à la manière dont les guerres rebondissent sur les familles, explique l’auteur. Au théâtre, on se fait toujours raconter des histoires de guerre lointaine, c’est toujours la guerre de l’autre. Pourtant, une dizaine de soldats français sont morts récemment sans bonnes raisons dans une embuscade en Afghanistan. Situation absurde, alors que cette guerre leur est étrangère."
On dit de la langue de Granouillet qu’elle entrechoque magistralement le réel et l’imaginaire. Profondément ancrée dans le concret, elle s’en éloigne pourtant graduellement, par petites touches. "Le vocabulaire est assez simple, précise-t-il, mais je crois que même avec des mots humbles, le texte décolle du réalisme et fait entendre une certaine poésie. On pourrait comparer cela au cinéma néoréaliste et sa manière de souligner la poésie du quotidien. J’espère être un peu dans cette veine-là." On ira voir.