Daniel Danis : La science des rêves
Si le Québec avait une équipe olympique de théâtre, elle compterait sans aucun doute Robert Lepage, Wajdi Mouawad et Daniel Danis. Ce dernier et non le moindre s’amène au Carrefour avec sa nouvelle création, Yukie.
Oubliez le Daniel Danis dont on a vu les textes au Trident ou au Périscope (Terre océane, Le Langue-à-langue des chiens de roche, Le Chant du dire-dire, etc.): "Je n’ai plus 32 ans, j’en ai 48. J’espère que le public va avoir la curiosité de venir voir là où j’en suis", lance-t-il. Le lauréat de trois Prix du Gouverneur général est devenu ce qu’il appelle un "écriveur scénique". Il explique: "Je veux écrire autrement que sur le papier. Je veux écrire avec des acteurs, des musiciens, des gens en technologies de l’image pour arriver à trouver d’autres formes de langage et pousser le théâtre plus loin."
Cet ailleurs, c’est du théâtre-film. Pour Yukie, la scène est habillée d’un seul écran blanc, derrière lequel sept acteurs (Ann-Sophie Archer, Frédérick Bouffard, Eliot Laprise, Anabelle Lebrun, Klervi Thienpont, Sophie Thibeault, Alexandrine Warren) jouent pour des caméras qu’ils déplacent eux-mêmes. "Mais tout se fait en direct", précise Danis. Conçu en grande partie à la Caserne Dalhousie, avec les cracks de la technologie qui y sont liés, Yukie promet une expérience multimédia qui demande aux acteurs un travail créatif supplémentaire. Il vante d’ailleurs les mérites des comédiens de Québec, qu’il qualifie de "très entreprenants".
Pour le spectacle présenté dans le cadre du Carrefour, Danis a imaginé une île appelée Japon-du-Québec-de-n’importe-nawaque, qui deviendra la terre d’accueil de la petite Yukie, trouvée par les habitants dans une barque. La communauté accueille l’enfant, malgré la maladie qui l’atteint: elle souffre d’un trouble proche de la personnalité multiple. Il y a Yukie la créative et inventive, Yukie la colérique et Yukie dans un état plutôt végétatif. "Au fond, explique Daniel Danis, ça ressemble aux trois états qui nous habitent tous… Parfois, on est en mode furie, puis on tombe comme endormis, puis on rebondit. Si on pousse plus loin la réflexion, ces trois états décrivent peut-être même nos sociétés, nos systèmes politiques."
Ces réflexions sont au coeur de la démarche de Daniel Danis. "Ce qui m’intéresse dans l’art, c’est la recherche: pourquoi on parle, comment le discours est organisé dans le cerveau des individus, comment fonctionnent les neurones?" Même ses nuits servent son art: "Depuis l’âge de trois ans, je cultive mes rêves, je les analyse comme des tableaux d’art. C’est pas ésotérique, il s’agit juste d’être disponible à ça, c’est un réflexe, c’est comme un marin qui développe son pied marin. Par exemple, je me demande s’il y a une différence entre l’image qu’on a de notre enfance quand on est éveillé et l’image de notre enfance quand on rêve. La majeure partie de mes textes ont pour assises mes rêves, et après je mets du réel dedans."
Le spectacle à l’affiche du Carrefour est la première partie de ce qui constituera une trilogie. Maintenant installé à Québec, Danis fera certes le bonheur des concepteurs et des acteurs désireux de créer… autrement.