Philippe Cyr : Monde parallèle
Scène

Philippe Cyr : Monde parallèle

Dans Norway.today, d’Igor Bauersima, le virtuel et le réel se déposent sur les bords d’un fjord norvégien et se croisent dans les vies morcelées de jeunes suicidaires. On discute avec le metteur en scène Philippe Cyr.

Il y a des offres qu’il est impossible de refuser. Quand Téo Spychalski, ex-directeur artistique du Groupe de la Veillée, a tendu à Philippe Cyr la traduction française de Norway.today (par Réjane Dreifuss), le jeune comédien croyait se faire offrir un rôle. Erreur. Pour monter ce texte qui traînait dans ses tiroirs depuis quelques années, l’homme de théâtre avait jeté son dévolu sur Cyr, dont la carrière est liée de très près, depuis ses débuts, au Théâtre Prospero, donc à Spychalski et comparses.

Le texte d’Igor Bauersima, un dramaturge allemand établi en Suisse, est un succès planétaire depuis sa création en 2000. Il est à ce point rempli de questions passionnantes que le jeune comédien n’a pas songé une seconde à refuser. Là, c’est le critique qui parle, plutôt emballé de sa première lecture de la pièce. Car ce texte, qui n’hésite pas à flirter avec le kitsch (c’est Cyr qui souligne), aborde le faux-semblant et la recherche d’authenticité sous l’angle des relations virtuelles et technologiques d’aujourd’hui, sans jamais enfoncer le clou ou monter le ton, en interrogeant plutôt la part de réel dans toute cette virtualité. Juliette (Sophie Desmarais) veut se suicider. C’est un détail. Mais se suicider seule, elle n’y compte pas trop.

Dans un forum de discussion, elle trouve son allié: Auguste (Jonathan Morier), 19 ans, en qui elle croit reconnaître le même désir de "se donner la mort dans un acte de couronnement de la vie". Pas de noire dépression, ici, mais surtout de la lucidité et du romantisme. Ces deux-là en ont marre de "jouer un rôle" dans un monde où "chacun fait comme s’il était quelqu’un, alors qu’il est simplement pas quelqu’un d’autre". Auguste et Juliette passeront du virtuel au réel, se retrouvant au bord d’un précipice en Norvège, un lieu infini, d’une beauté terrifiante, où leur projet de suicide prendra des allures de grande quête de vie.

"Ils sont traversés par une forte pulsion de mort, dit Cyr, mais ils sont extrêmement en vie, et c’est d’abord le romantisme de leur projet qui compte. Ils veulent mourir de façon mythique et grandiose. On pourrait dire, et c’est là le kitsch de la chose, qu’en se trouvant dans le plus beau lieu du monde, ils sont soudainement confrontés à leur propre beauté. Mais en fait, ils sont terrifiés par le percutant contact avec le réel que ça leur fait vivre."

Auguste et Juliette, peut-être, en tant qu’enfants du Web, communiquent d’une manière nouvelle, perçoivent la réalité autrement et le réalisent dans l’univers opalin du fjord norvégien qu’ils ont choisi comme lieu de mort. Du moins c’est ainsi que Cyr l’envisage, même si le choc n’est pas nécessairement négatif à ses yeux, ni d’ailleurs aux yeux de l’auteur, qui ne semble jamais chercher à condamner le mode de communication des jeunes suicidaires.

"On est arrivés à un moment où on n’est jamais vraiment soi-même sur le Web, explique Cyr, mais toujours dans une projection très calculée, une extension publique très définie, que les gens confondent tout de même avec le réel. Ça modifie profondément le rapport aux autres. Je ne sais pas comment encore, je suis incapable de mettre des mots là-dessus, mais quelque chose de majeur se produit. Il y a sans doute une part de vérité à trouver là, un nouveau contact, une autre capacité de communiquer, quelque chose auquel on n’a jamais eu accès auparavant. Ultimement, ça va modifier notre perception du monde, notre capacité de comprendre, de percevoir ce qui nous entoure. C’est probablement un changement positif. Non?" On se posera la question en choeur après le spectacle.