Marc Béland et Benoît McGinnis : De pères en fils
Scène

Marc Béland et Benoît McGinnis : De pères en fils

En 1990, Marc Béland incarnait Hamlet sur la scène du TNM, dirigé par Olivier Reichenbach. En 2011, il assure la mise en scène de la pièce et confie le rôle-titre à Benoît McGinnis. On en discute avec eux.

Depuis sa création au 17e siècle, Hamlet a été monté de bien des manières, traversant les époques et faisant écho aux différents courants de pensée. Pour sa mise en scène, Marc Béland voulait absolument s’éloigner de la tradition européenne et, sans tomber dans le régionalisme, donner une couleur québécoise à la pièce de Shakespeare. Pour lui, cela passait nécessairement par une nouvelle traduction.

"Mon choix s’est porté sur Jean Marc Dalpé, car je trouvais très important que le traducteur soit un auteur avec une langue bien à lui, prêt à prendre des risques, afin qu’on se réapproprie la tragédie. On a encore de la difficulté à concevoir le fait de jouer le répertoire en québécois; on parle à la française pour ça. Je voulais essayer de prendre le contrepied de cette attitude." Comme la version intégrale de la pièce dure 4 h 30, le metteur en scène et le traducteur n’ont pas hésité à faire des coupes: "Il y a beaucoup de redites dans le texte original, sans doute parce qu’à l’époque, le spectateur allait et venait pendant les représentations et qu’il y avait du bruit. Aujourd’hui, le public est habitué à faire des synthèses, habitué au langage elliptique, alors les coupes s’imposaient."

Jeu d’échecs

L’intrigue, qui se déroule au Danemark, a toutefois été conservée dans son intégralité. Le roi Hamlet est mort, et la reine Gertrude (Marie-France Lambert) a épousé son frère, Claudius (Alain Zouvi). Hamlet-fils (Benoît McGinnis) reçoit la visite du fantôme de son père, qui lui révèle que Claudius l’a assassiné et réclame sa tête. Pour préparer sa vengeance, il simule la folie et rejette sa bien-aimée Ophélie (Émilie Bibeau). Ayant tué par erreur Polonius (Jean Marchand), Hamlet est provoqué en duel par son fils, Laërte (David Savard), et meurt sous les coups d’une épée enduite de poison. À la mort d’Hamlet, le Danemark tombe sous le contrôle de la Norvège, contre laquelle s’était battu son père.

Sous bien des aspects, la pièce de Shakespeare est une histoire d’échecs: échec de l’usurpation du trône, échec de la vengeance, échec de l’amour, échec de la protection du territoire… "C’est une pièce sur le "À quoi bon?", précise Béland. Hamlet est traversé par cette question. Finalement, la noirceur l’emporte. Je souhaite que le spectateur sorte avec cette noirceur et décide ce qu’il fait avec. Au théâtre, je trouve important de laisser les gens avec des abcès non crevés. On est là pour ouvrir des portes et c’est au public de choisir s’il les franchit ou non."

Hamlet est la seconde collaboration entre McGinnis et Béland. Certains se souviendront sans doute de l’interprétation que le comédien avait faite de François Bernardin dans Le fou de Dieu, de Stéphane Brulotte, présenté à la Cinquième Salle en 2008. "Je ressens une continuité dans notre travail, explique McGinnis. Avec Le fou de Dieu, on a jeté des bases, appris à se connaître. Je sais où Marc veut que j’aille, ce qu’il aime et n’aime pas, et je le comprends vite, ce qui est très important en répétition. Non seulement sa vision me parle, mais il m’ouvre des portes, il m’emmène ailleurs, plus loin. J’ai toujours eu l’impression d’avoir un côté un peu trop propre, je me sens souvent pogné, pas assez libre, et Marc me permet d’aller là où j’ai peur, il me fait grandir."

McGinnis aborde ce personnage mélancolique de manière plutôt intuitive. "Le cheminement d’Hamlet me semble très clair, mais j’ai du mal à l’expliquer. C’est une oeuvre très intense, mais j’ai l’impression de comprendre le personnage, qu’il résonne en moi. Je ne joue pas un prince, mais un homme affecté par la mort de son père, qui subit ce qui lui arrive et n’a pas le choix d’y réagir. Pour moi, c’est un antihéros, mais ce n’est pas un perdant: c’est un homme qui doute. Je travaille beaucoup sur les pulsions. Hamlet agit, il prend des décisions, mais pas nécessairement celles qu’on attend de lui. Il vit dans le moment présent."

Quête d’absolu

Marc Béland renchérit: "Hamlet est un matériel de projection que le metteur en scène et les comédiens peuvent investir de leur propre histoire, comme les spectateurs le feront. Il a des côtés irritants, car il est égocentrique. Mais il a des qualités de coeur qui viennent contrebalancer sa quête d’absolu et de pureté, son intransigeance, et qui font de lui un être très sensible. Le remariage de sa mère est la blessure primordiale, celle qui a fait craquer son monde et lui a révélé l’existence du mensonge. Il a un rapport oedipien avec sa mère et c’est ce qui le perd. D’une certaine façon, il n’accepte pas de passer à l’âge adulte. Toutefois, ce serait réduire Hamlet que de vouloir le circonscrire. Nous-mêmes, nous sommes remplis de contradictions et de zones troubles, pourquoi pas lui? Il faut l’aborder avec cette attitude."

La pièce a été relativement peu montée au Québec, et la connaissance qu’en a Béland provient avant tout de sa propre expérience. "Mon désir de mettre en scène Hamlet vient d’une frustration de comédien, avoue-t-il. J’ai l’impression de ne pas être allé jusqu’au bout du personnage, et j’ai été très frustré par le décor qui noyait le spectacle, nous empêchait de prendre notre envol. Je ne voulais pas rester sur cette expérience – et je le dis sans amertume -, mais plutôt essayer de mettre en place de meilleures conditions pour qu’on ait accès à cette oeuvre, qu’on puisse être touché. Je voulais aussi faire triper un jeune acteur. Il y a un désir de transmission là-dedans; peut-être que Benoît fera la même chose à son tour dans quelques années."

McGinnis répond par l’enthousiasme: "J’ai une confiance absolue dans le travail de Marc. Il m’a inclus dans le projet dès le départ, et même invité à une rencontre pour les décors, ce qui n’arrive jamais." "Je voulais que le rythme des scènes aille vite, explique Béland, ce qui implique une scénographie dénudée, qui évoque les lieux au lieu de les montrer. Les déplacements des corps doivent être simples et pratiques. Il n’y a rien de pire qu’un acteur malheureux dans un espace. Je veux que Benoît puisse se déployer avec le plus de liberté possible. C’est ça la force du théâtre. Un acteur libre sur scène, il n’y a rien de plus captivant." Gageons que Benoît McGinnis, qui nous a déjà prouvé l’ampleur de son talent, saura tirer profit de cette liberté.