Denis Marleau : Retour au plaisir d'origine
Scène

Denis Marleau : Retour au plaisir d’origine

Près de vingt-cinq ans après sa création en 1988, l’Oulipo show est repris pour marquer le 30e anniversaire du Théâtre UBU. Denis Marleau retrouve la folle énergie de cet hommage aux mots qui a fondé sa démarche créatrice.

Créé il y a 30 ans autour d’un spectacle dadaïste monté pour le Musée d’art contemporain, le Théâtre UBU tient toujours tête aux courants dominants. Son directeur Denis Marleau nous parle de la naissance de sa compagnie comme d’une féconde découverte avec la puissance des mots. "Ma recherche dans les années 1980 avec les Oulipiens, la pataphysique et Jarry a posé des jalons. Je me refaisais une histoire de l’art personnelle dans l’interdisciplinarité et c’est devenu une sorte de fabrique de théâtre sur des écritures qui travaillaient la forme et qui continuent à m’inspirer jusqu’à tout récemment avec Thomas Bernhardt et Jelinek (Jackie)."

Les Oulipiens allaient d’ailleurs bientôt lui inspirer un des spectacles les plus mémorables de l’histoire du théâtre UBU. "Quand on a créé l’Oulipo show en 1988, on travaillait la plasticité du langage, la poésie sonore et la musicalité de l’écriture. On était pas mal les seuls avec ces préoccupations. Je voulais travailler avec des textes qui venaient d’ailleurs, non liés au répertoire classique ni contemporain. Ça a surpris et marqué le début d’une recherche fondamentale sur le langage que j’ai développée par la suite." Quatuor vocal réunissant, entre autres, des textes de Raymond Queneau, Italo Calvino, Georges Perec et Michel Tremblay, le spectacle-collage rend hommage à la folle école de l’OUvroir de LIttérature POtentielle, un groupe d’écrivains qui, dans les années 60, se donne des contraintes littéraires pour développer toutes les potentialités du langage. "La radicalité de notre travail dans l’Oulipo show apparaissait parce qu’il n’y avait pas de décor, pas de psychologie. Il n’y avait qu’un espace ludique investi par des acteurs qui exploraient les écritures comme un matériau musical. Ça emmenait toutes sortes de niveaux de jeu décalés par rapport au jeu plus réaliste et psychologisant qu’on avait appris dans les écoles."

Retour au plaisir d’origine

Vingt-trois ans plus tard, Marleau a réuni les mêmes acteurs (Carl Béchard, Pierre Chagnon, Bernard Meney et Danièle Panneton) pour rejouer cette fête du verbe délirant. L’esprit ludique et délinquant de l’exercice ne peut qu’être bienfaisant pour notre époque si collée au réel. "Il y a en effet une sorte de jubilation qui nous gagne à retrouver ces textes", raconte Marleau. "On a fait la création à l’époque avec presque rien. On louait des costumes, il n’y avait pas de décor. C’est drôle de revenir à quelque chose d’aussi élémentaire avec quatre acteurs, des mots et une histoire qui n’est pas une histoire. Quand je regarde le spectacle, je me dis que tout part de là."

Réputé pour son insatiable créativité, Marleau n’a en effet jamais cessé d’innover. On pense aux Aveugles, cette hybride fantasmagorie technologique créée en 2002 au Musée d’art contemporain et reprise en mars 2012, en même temps qu’UBU montera Le Roi Lear au TNM. Pas de répit pour le théâtre si bien nommé à la suite du roi d’Alfred Jarry qui, dans son manifeste, évoquait l’idée du travail sur le petit nombre, un travail radical fondé sur cet éternel "plaisir de chercher".