Bilan danse : L’avenir dans la mire
Les inquiétudes qui minent le milieu québécois de la danse ont mené plusieurs joueurs à agir en 2011. Pendant que les grandes compagnies célèbrent des anniversaires qui témoignent de leur pérennité et de l’importance de la transmission, l’heure est à la solidarité pour la survie d’un art fragile.
Un plan, des actions
L’événement majeur de l’année est le lancement du Plan directeur de la danse professionnelle au Québec 2011-2021. Élaboré par l’équipe du Regroupement québécois de la danse à partir des demandes formulées par l’ensemble du milieu, il établit un inquiétant état des lieux de la discipline et trace les multiples voies à emprunter pour renforcer des structures encore trop fragiles pour assurer son développement durable, susciter l’intérêt d’un plus large public et être en mesure de bien se placer sur l’échiquier international, où la compétition est féroce. Car l’étiquette de capitale internationale de la danse accolée autrefois à Montréal n’est plus d’actualité, malgré la vigueur légendaire de ses créateurs.
Plusieurs ont déjà répondu à l’appel à la solidarité et à l’implication des individus lancé dans ce plan directeur. Parmi ceux-ci, Marie Chouinard a piloté la création des Prix de la danse de Montréal dont la danseuse Louise Lecavalier est la première lauréate. En récompensant des artistes d’ici ou d’ailleurs s’étant illustrés sur la scène montréalaise durant l’année, ces prix devraient attirer les regards étrangers sur la métropole et stimuler chez nos créateurs le goût de l’innovation et de l’excellence qui se perd parfois dans une stérile complaisance.
Soulignons par ailleurs la création du blogue bilingue Montréal Danse Nouvelles qui met en balance critique professionnelle et citoyenne en cherchant à pallier le manque de couverture médiatique en danse, et le coup de maître de Pierre-Paul Savoie qui a porté la danse à Coup de coeur francophone avec le très réussi Danse Lhasa Danse.
Pour terminer, prions pour que Tangente ne perde pas son public dans les années d’itinérance qui le séparent de son implantation dans le Quartier des spectacles à la même adresse que Les Grands Ballets Canadiens de Montréal et LADMMI, l’école de danse contemporaine. Outre les oeuvres au Top 5, on y a vu d’excellentes productions dont celles de Josh Beamish et Amélie Rajotte.
Un patrimoine, des reprises
Fortier danse-création a fêté ses 30 ans, l’organisme de services Diagramme gestion culturelle et la Compagnie Marie Chouinard ont soufflé 20 bougies et plusieurs reprises d’oeuvres créées entre 1948 et 1999 ont témoigné de la richesse du patrimoine québécois: Bras de plomb de Paul-André Fortier, Dédale, À tout prendre et Je parle de Françoise Sullivan, présentées au festival Quartiers Danses, Drumming de Ginette Laurin et Des feux dans la nuit que Chouinard a recréée avec Manuel Roque, jeune chorégraphe prometteur qui a raflé la plupart des prix au festival Vue sur la relève. À l’autre bout du spectre, on se réjouit de la mise en valeur de la danse au cinéma grâce à la 3D utilisée par Wim Wenders (Pina), Philippe Baylaucq (ORA) et Philip Szporer et Marlene Millar (Lost Action: Trace).
Du sexe, des ventes
Présenté dans un bar de danseuses nues, le Danse à 10 de La 2e Porte à gauche a fait couler bien plus d’encre et rameuté bien plus de spectateurs que son excellent 4 qu’Art produit plus tôt dans la saison avec Danse-Cité. De son côté, le Théâtre La Chapelle a fait ses choux gras avec les seins nus et autres dévoilements de pièces sans portée signées Clara Furey/Céline Bonnier, Dany Desjardins et Dave St-Pierre. Espérons que la tendance qui s’y dessine n’annonce pas une vague d’hypersexualisation et d’oeuvres privilégiant la forme, trash ou bling-bling, au détriment du fond.
Quelques lauriers en vrac
Pour clore 2011, saluons les éditions particulièrement excitantes du Festival TransAmériques et du OFFTA, récipiendaire du Prix de la relève – Caisse de la culture du Conseil des arts de Montréal, et les bonheurs chorégraphiques offerts entre autres par Wayne McGregor, Mélanie Demers, Lucie Grégoire, Ame Henderson, Sarah Bild/Susanna Hood et Sidi Larbi Cherkaoui dont le Babel fait rimer avec maestria divertissement et oeuvre d’art.
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TOP 5 / Danse
1- Tempest: Without a Body, de Lemi Ponifasio (Mau / FTA)
Signée par le Néo-Zélandais Lemi Ponifasio, cette oeuvre ultrastylisée et trempée de butô a marqué les esprits avec ses images de fin du monde dénonçant la perte des libertés. Exceptionnel.
2- Belle manière, de Nicolas Cantin (Tangente)
Duo pathétique confirmant le talent de Nicolas Cantin pour créer des climats troubles et prégnants en travaillant la présence, le temps et des bandes-son exhausteuses d’émotions. Mention spéciale à l’interprète Normand Marcy.
3- Nouvelle création, d’Édouard Lock (La La La Human Steps)
Édouard Lock exalte le pouvoir évocateur de l’abstraction avec une chorégraphie inspirée de l’imbrication de deux opéras baroques de Purcell et de Gluck. Fascinant.
4- Nixe et Obtus, de Cindy Van Acker (Compagnie Greffe / FTA)
Dans ce diptyque sur le sens de l’image, la Flamande Cindy Van Acker dialogue avec l’espace et la lumière pour transcender le mouvement. Un formalisme jouissif.
5- Myths and Machines, de Peter Trosztmer (Tangente)
Danseur des plus charismatiques, Peter Trosztmer s’attaque à son histoire familiale dans ce solo entre récit et onirisme. Drôle, instructif et émouvant.
J’observe la nomenclature de vos coups de coeur pour l’année, madame Cabado, et j’avoue que, quoique je sois au niveau du balbutiement en ce qui concerne cet art, tant par mes connaissances que par le nombre de spectacles auxquels j’ai assisté, certains de mes choix se confirment par les vôtres que vous nous partager passionnément.
Effectivement, Tempest de Lemi Ponifasio tant par son propos (la liberté) que par son aspect visuel est mémorable. La pénombre, l’aspect rituel et danse tribale puis cette montée dramatique, supportée par la musique, et cette libération comme un coup dans la poitrine qui nous laisse pantois.
J’ai craqué aussi pour Stéphan Thoss avec son Searching for home. Encore là, pénombre. Scène particulièrement esthétique, muable. Comme un miroir dans lequel se déploie un jeu de cache-cache et de dévoilement. Exigeants pour ses danseurs, ces mouvements tantôt lents parfois très acrobatiques.
Je n’omets pas non plus Marie Chouinard avec le Nombre d’Or (live) qui poursuit sa quête, à travers la meute, que l’on retrouve aussi dans Les trous du ciel, de l’intime, du creuser encore plus loin dans l’être, dans ses os, dans son âme, comme Ginette Laurin d’ailleurs, afin de découvrir cette atome divin, ce big-bang à la source de la vie. Quant au solo de Carol Prieur, ouf, il émane de cette danseuse tant d’émotions. Durant un instant, j’ai entremêlé son visage à celui de Pina Bausch.
Je diverge toutefois en ce qui concerne Dave St-Pierre, Le Cycle de la boucherie est en ligne directe avec sa production antérieure : la dénonciation de l’égoîsme lors des rapports amoureux voire intimes. On y trouve maintes références à ses spectacles antérieurs. D’emblée, il y va de l’auto-dérision en caricaturant un artiste narcissique s’auto-gratifiant. Certes, puisque les éléments physiques étaient réunis (les pommes), j’aurais apprécié une finale à l’image d’Un peu de tendresse, bordel de merde!, un neuf minutes sur une musique de Arvo Part, ou encore ses mouvements de glissade comme dans Warning au cours duquel les balles de tennis faisaient office de support, Il a opté pour une finale choquante, paradoxalement ludique puisque les belles de Botéro sont présentées comme les sangliers dans la bande dessinée Astérix et Obélix. Je vous accorde qu’il y avait un peut-être un peu de précipitation dans ce spectacle, quoiqu’il y ait remedié en procédant à des ajustements au fil desreprésentations, mais j’y vois l’urgence de dire d’un créateur qui est confronté à l’impuissance de parvenir à dire, à énoncer afin de l’élucider puis de l’éluder son propos. Ça, c’est faire Oeuvre selon moi.
Quant au solo (ou presque) et sans tenir compte de mes préférences, j’avoue que quelques chorégraphes ou danseurs m’ont particulièrement séduit.
Manuel Roque dansant Des feux dans la nuit, chorégraphié par Marie Chouinard, est remarquable. Mi-dieu mi homme, il transmet l’univers de sa chorégraphe avec brio.
Lara Kramer dans A good moral of character m’a séduit par sa traduction de la vie en danse.
Chanti Wadge dans O Deer, présenté lors du FTAmérique. Pénombre et tribal. Atmosphère enveloppante.
Prochainement, Navas et Khan.
Merci pour ce bilan très intéressant. Je note à mon grand désarroi que j’ai totalement loupé le lancement du blogue Montréal Danse Nouvelles. Moi qui me croyais informé…
Bilan très intéressant qui me permet de constater que j’ai raté les oeuvres du top 5, sauf « Nixe et Obtus » de Cindy Van Acker et ce, malgré le fait que j’assiste à environ une oeuvre par semaine. « Pas chanceux le gars ». Donc, il est difficile pour moi de discuter ce ces choix.
Il en reste que j’ai quand même pu assister à des oeuvres de très bonnes qualités et que surtout j’ai bien aimées. Parmi celles-là, « Avril est le mois le plus cruel » avec Jocelyne Montpetit et « In Between » avec Yoshito Ohno et Lucie Grégoire qui m’ont permis de ressentir des émotions profondes et qui m’ont convaincu de poursuivre ma découverte des oeuvres inspirées du butô, style de danse pas spectaculaire, difficile d’accès mais pour qui s’y habitue, tellement gratifiante.
Deux autres oeuvres, présentées dans un très court intervalle de temps ont retenu mon attention, « Désillusions de l’Enchantement » de Tony Chong (gratuit à ma Maison de la Culture) et Le Nombre d’or (live) de Marie Chouinard. Toutes les deux incluaient un spectaculaire solo de Carol Prieur, je n’ai rien à ajouter, sinon quelle grande danseuse.
Enfin, Sidi Larbi Cherkaoui avec son « Babel » m’a beaucoup impressionné ainsi que tous ceux qui l’ont vu dans mon entourage.
Des mentions spéciales pour « O Deer » de Chanti Wadge, « Fragments-Volume I » de Sylvain Émard avec un superbe solo de Catherine Viau et « Entity » de Wayne McGregor.
De façon plus générale, j’abonde dans le sens de Fabienne Cabado quand à ses craintes à propos de Tangente et de son public. Je dois avouer que j’ai assisté à aucune représentation cet automne. À mettre dans mes résolutions du nouvel An.
D’accord aussi avec elle, pour ce qui est des oeuvres « Du sexe, des ventes » quoique que je dirais que « Hello … » du duo Furey-Bonnier et la dernière proposition récapitulative de Dave St-Pierre étaient plutôt de la performance que de la danse contemporaine. Enfin, « Danse à 10 » était une idée audacieuse, intéressante aussi, mais qui interpellait peu sauf sur les motivations profondes des spectateurs assistant à des spectacles de danse contemporaine. Pas toujours facile d’explorer de nouveaux territoires et ce n’est pas moi qui critiquera trop une compagnie qui ose. Effectivement « 4 Qu’art » était plus réussi.
Une année terminée, une autre qui s’annonce plutôt bien. Prochain rendez-vous, José Navas.
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