Le bruit des os qui craquent : Évoquer le pire
Scène

Le bruit des os qui craquent : Évoquer le pire

Gervais Gaudreault a privilégié une approche économe pour sa mise en scène du Bruit des os qui craquent, une pièce sur les enfants-soldats qui a déjà bouleversé plusieurs publics.

Après avoir été ébranlée par le documentaire Child Soldiers, l’auteure Suzanne Lebeau a commencé à se documenter sur le sujet, pour finalement se rendre à Kinshasa, où elle a rencontré deux ex-enfants-soldats. Le bruit des os qui craquent est l’aboutissement de cette quête. "Quand j’ai lu le texte, j’ai eu, comme les gens qui voient le spectacle, un choc, se souvient Gervais Gaudreault. Avec les comédiens et les concepteurs, on sentait qu’on avait une oeuvre majeure entre les mains. Et, effectivement, Suzanne a gagné le Prix du gouverneur général pour ce texte. Il a déjà été traduit dans plusieurs langues, il a été monté à la Comédie française…"

La pièce se démarque, entre autres, par sa structure, alors qu’elle met en parallèle l’histoire de deux enfants-soldats en cavale dans la forêt et le témoignage d’une infirmière devant une commission. "Je crée deux univers, poursuit-il. Pour moi, les jeunes sont dans un temps passé. De leur côté, il y a un tulle et tout un système de projections en noir et blanc qui créent l’illusion du 3D, comme si c’était un songe ou des fantômes. Tandis que l’infirmière est dans le temps réel. Elle a peu d’espace, une table et un micro, mais l’important est la manière dont je traite sa voix par moments. À la limite, elle prend indirectement le public à partie, comme s’il était la commission." Non sans provoquer un certain malaise…

Devant un sujet aussi délicat, le metteur en scène a constamment cherché l’équilibre entre "jusqu’où aller et jusqu’où ne pas aller". À ce propos, il a beaucoup apprécié le fait que le texte exprime l’horreur au moyen du récit. "Donc, je n’avais pas besoin de la montrer. Le spectacle est beaucoup plus de l’ordre de l’évocation. Mais, des fois, les mots dits en direct devant un public ont un impact absolument incroyable." Une vision économe qui s’applique également à l’interprétation. "Les jeunes passent du jeu dramatique au jeu tragique, mais il n’y a pas d’apitoiement. Ce sujet est trop fort et ce texte trop dense pour jouer dans la plainte. On n’a pas besoin d’en mettre. Les spectateurs reçoivent l’émotion et font le voyage", affirme-t-il.