Carole Fréchette : Les échos de Tiananmen
Scène

Carole Fréchette : Les échos de Tiananmen

Carole Fréchette interroge le rapport du politique et de l’intime dans Je pense à Yu, l’histoire d’un Chinois qui a sacrifié sa vie pour un geste symbolique.

Tout est parti d’un entrefilet dans le journal au sujet de Yu Dongyue, journaliste chinois incarcéré pendant 17 ans pour avoir lancé de la peinture sur le portrait de Mao pendant les manifestations de Tiananmen, en 1989. Émue à la lecture de cette nouvelle en 2006, Fréchette s’intéresse alors au choc des hommes avec l’histoire. "J’ai été frappée par le geste lui-même: l’image du petit individu devant cette grande image du pouvoir immuable. Et puis ça pose des questions sur l’action politique. Est-ce que le monde a besoin du sacrifice de ces individus comme des étincelles qui allument les consciences? C’est à la recherche de tout ça que je suis partie."

L’auteure a choisi un point de vue extérieur pour parler de Tiananmen, celui d’une Occidentale qui, en l’occurrence, rejoint le sien. "Je cherchais ma juste place pour parler de cet événement-là et je continue de croire qu’elle se trouve à travers les yeux de mes personnages qui n’étaient pas à Tiananmen, mais pour qui l’histoire de ces Chinois provoque une sorte de remise en question. On est inondé d’informations et, forcément, ça nous pénètre."

L’auteure fait résonner le geste iconoclaste du Chinois sur la vie d’une ex-militante en crise identitaire (Marie Brassard), d’une immigrante chinoise (Marie-Christine Lê-Huu), et d’un homme qui a sacrifié sa vie pour son fils malade (Jean-François Pichette). "Plusieurs opinions sur l’engagement débattent dans la pièce. On peut dire que le geste des Chinois n’a pas été efficace parce que les étudiants ont perdu, écrasés par les chars, mais il a une efficacité à un autre niveau, parce qu’il s’imprime dans nos imaginaires, ouvre une porte."

Au fil de ses recherches, Fréchette a découvert que trois hommes avaient souillé l’image du grand timonier, remontant jusqu’à l’un d’eux, Lu Decheng, réfugié à Calgary depuis 2006. "J’ai fait trois jours d’entrevue avec lui et il m’a raconté en détail l’arrestation, le procès, la sentence, la prison. L’histoire lointaine devenait tout à coup à portée de main. Il n’était plus le héros pur, mais quelqu’un de réel. J’ai écrit sur un fil, en tension constante entre mes personnages fictifs et la tragédie réelle vécue par ces hommes, dans le respect total de ce qu’ils ont vécu."

L’auteure avait déjà abordé l’histoire dans son théâtre (Le collier d’Hélène parlait de l’après-guerre au Liban), mais jamais la fiction et le documentaire n’avaient flirté d’aussi près que dans cette pièce qui rejoint, contre toute attente, la société qui carbure à la révolte et aux manifestations depuis un an et se nourrit encore de gestes symboliques.