Emovere : Courtepointe baroque
Scène

Emovere : Courtepointe baroque

Autour des thèmes du legs, de l’enfance et de la transmission, Emovere forme un métissage coloré mais inachevé de vies  entremêlées.

Écrite avec Pascal Chevarie, la pièce mise en scène par Eric Jean est née d’improvisations avec sept interprètes qui ont livré leurs témoignages personnels sur leur histoire familiale et leur conception de l’héritage. De cette matière première, il semble que l’argile ait durci avant l’achèvement de l’oeuvre, un peu comme Pompéi pétrifiée sous la lave du Vésuve, leitmotiv de la pièce. Contrairement à cette ville figée dans le temps, les personnages expriment un fort désir de se "mettre en mouvement", comme le titre de la pièce l’indique, défendant avec émotion une conception de l’identité qui se construit au présent avec les acquis du passé et les promesses de l’avenir. Mais si le mouvement est bel et bien présent, il manque de mise en forme pour s’accomplir vraiment.

Certaines images fortes surgissent des récits des acteurs qui passent tour à tour au micro pour livrer des morceaux de leur histoire, comme cette jolie métaphore de Sasha Samar disant poursuivre l’homme qui le suivait pour effacer ses traces. Préférant le symbole au simple témoignage, l’acteur né en Ukraine soviétique évite l’écueil du théâtre-réalité qui peut rapidement tomber dans le nombrilisme. Entre le partage de leurs expériences personnelles, les acteurs incarnent des scènes de leur histoire familiale, offrant de beaux moments de complicité, faisant tous partie d’une même histoire dans cette maison ouverte, délabrée et poussiéreuse qui sert de décor et fait naître les scènes comme une boîte à souvenirs. La recherche des racines dans un magma de cendres suggère la difficile filiation et le deuil nécessaire, une image forte, certes, mais qui ne suffit pas à faire lever le spectacle.

Construite en mosaïque, la pièce réunit pourtant des idées riches et parfois bien exploitées. C’est le cas dans un numéro de Marie-Hélène Thibault, excellente et très drôle en femme des années 1950 transmettant à regret à sa fille les valeurs dégradantes de sa condition de femme soumise jusqu’à se pétrir le corps à l’aide d’un rouleau à pâte.

Ni impudique ni racoleuse, Emovere jouit d’une belle distribution et d’une scénographie raffinée, mais tombe souvent dans la facilité, comme s’il manquait à ce tissu de souvenirs une proposition narrative plus forte pour acquérir une dimension théâtrale. Limitée par la forme fragmentaire qu’elle privilégie, la pièce s’éparpille entre des numéros de chant (solaire Jasmine Bee Jee) et des tableaux de danse qui s’intègrent difficilement au reste. Ouverte, mais souvent scolaire, la pièce a généré le bon et le moins bon des créations collectives qui souvent foisonnent d’idées, mais cherchent aussi leur cadre.