Les orphelins de Madrid : Je me souviens
Pour sa 15e production, le Petit Théâtre du Nord a eu le flair de commander sa comédie estivale à la talentueuse Sarah Berthiaume. Défendue avec aplomb par les quatre comédiens fondateurs, la pièce Les orphelins de Madrid vaut amplement le détour.
Un sinistre bord d’autoroute qui héberge un temple kitsch comme il ne s’en fait plus. Le Madrid est le lieu de rencontre des fraîchement divorcés Alexandre (Sébastien Gauthier) et Isabelle (Mélanie St-Laurent) qui y échangent leur fille Léa tous les vendredis. Cette fois, c’est devant les ruines du restaurant qu’ils contemplent les dérives de leur vie de couple et de famille. Pendant qu’ils s’engagent dans une sempiternelle dispute, Léa prend la poudre d’escampette. S’ensuit une chasse à la fillette à laquelle se mêle le délirant Max (sublime Luc Bourgeois), l’amer ex-serveur du Madrid qui tente de mettre son plan à exécution: kidnapper Normand L’Amour pour réclamer la paternité de son oeuvre.
Dans un va-et-vient effréné, les personnages détalent et se heurtent sans répit, relatant au passage quelques tranches de vie. Or, l’intervention de Zoltar, le gipsy automate – qui exauce le voeu d’un des protagonistes et fait apparaître une mystérieuse mariée (Louise Cardinal) -, vient changer le cours des choses.
Dès les premières répliques, Les orphelins de Madrid ravit par la sensibilité et la dérision de sa langue. L’auteure et comédienne Sarah Berthiaume (Le déluge après, Villes mortes) a composé de savoureux dialogues, truffés de références et assaisonnés d’humour noir. En très peu de temps, elle arrive à installer et à donner de la profondeur à ces quatre "orphelins" d’une attachante imperfection.
La mise en scène de Sylvain Bélanger – qui nous a épatés ce printemps avec Billy (Les jours de hurlement) – contribue à nous transporter ailleurs: sur le bord de la 20, dans un univers qui flirte parfois avec l’aspect disjoncté de la foire ou du cirque. Les magnifiques décors de Jonas Veroff Bouchard achèvent de nous catapulter dans la poussière des restes du Madrid, au milieu d’enceintes lumineuses et de vieilles bouteilles de ketchup.
En explorant le symbole des ruines, Sarah Berthiaume aborde le thème de l’explosion de la cellule familiale, mais aussi celui de la nostalgie, ce mal qui affecte tant de Québécois et qui les fait regretter une chose qu’une fois qu’elle a disparu. Qui aurait cru que tant de gens auraient pleuré le Madrid? Pourquoi diable Isabelle regrette-t-elle son mari et sa famille qu’une fois éloignée? Quels effets le désabusement parental aura-t-il sur la vie de femme de la petite Léa? Certaines questions trouveront réponse, d’autres pas. Mais au final, le couple qui craint l’étiquette de "mauvais parents" se confortera en choisissant une autre sortie: celle du Vieux Duluth de Drummondville!