Guillaume Wagner : Le misanthrope humaniste
Scène

Guillaume Wagner : Le misanthrope humaniste

Guillaume Wagner ouvre une brèche dans le consensus ambiant avec Cinglant, son premier solo. Avertissement: jeune humoriste en colère.

Vous lirez sans doute beaucoup au sujet de Guillaume Wagner, jeune humoriste au sourire narquois, au look de musicien indie rock et à la rafraîchissante envie d’en découdre, qu’il (ouvrir les guillemets) veut dire des choses (fermer les guillemets). Rien de faux dans cette phrase spécialement utile pour suggérer en un coup de cuillère à pot ce que Wagner n’est pas: pas le genre de cabotin qui se roulera par terre afin de transformer une blague faisandée en un déluge de rires, pas le genre de clown qui s’affublera de costumes, pas le genre de séducteur à la gomme qui se trémoussera pour le ravissement de ces dames, pas le genre de diplômé de l’École nationale de l’humour qui aboutira à la barre d’un quiz infantilisant. Tout ça ne semble pas intéresser Guillaume Wagner. Guillaume Wagner veut dire des choses qui lui importent dans un micro, c’est tout. C’est déjà beaucoup.

"Au début de ma carrière, je faisais de l’humour d’observation de base, très grand public, se rappelle-t-il. Tu as tout le monde de ton bord quand tu fais ça. Grand-maman, le petit garçon de huit ans et le monsieur de 35 ans, ils comprennent tous. Mais j’ai fini par réaliser que le consensus, je n’aime pas ça. Je veux qu’il y ait des gens qui se tordent sur leur chaise, qu’il y ait parfois un certain malaise dans mes shows. L’humour, c’est un véhicule pour enlever du pouvoir à des gens, à des concepts ou à des idées qui en ont trop. Ce sont mes cibles préférées. Je suis un p’tit criss."

Les lignes débutant par le traditionnel "Avez-vous remarqué?" auront donc servi de camp d’entraînement à Wagner, qui entre dans les grandes ligues avec Cinglant, un premier solo porté par ses réflexions sur l’obsession de l’image, la misogynie, le mensonge, l’amour, l’individualisme, l’homophobie, l’indépendance, les rituels collectifs, les personnes handicapées, la glorification de l’ordinaire et le négativisme ("C’est drôle hein?" conclut-il, pince-sans-rire, dans un message publié sur sa page Facebook.) "J’ai toujours voulu faire valoir mes idées dans mes numéros, je tripais sur George Carlin et Chris Rock, des gars qui ont du vécu, mais je savais que je n’étais pas prêt quand je suis sorti de l’école à 21 ou 22 ans. Je voulais d’abord prendre de la confiance sur scène, entendre les rires. J’étais une pute à rires au début."

Applaudi chaudement sur les réseaux sociaux grâce à un numéro fustigeant la superficialité ordinaire et celle, plus criarde et orangée, des douchebags stéréoïdés et douchebaguettes collagénées, la Découverte des Olivier 2011 se fait plus souvent qu’à son tour fildefériste, testant jusqu’au point de rupture la tolérance de spectateurs habitués à des gags moins vitrioliques.

Exemple: dans un Gala Juste pour rire en 2010, Wagner évoquait, sur le ton de celui qui sait pertinemment qu’il va trop loin, un éventuel suicide de Marie-Mai, douchant par le fait même la bonne humeur de la foule. Avais-tu mangé de la vache enragée, Guillaume? "Quand tu cibles quelqu’un que les gens n’aiment pas, tu dénonces. Quand tu cibles quelqu’un que les gens aiment, tu es méchant", note-t-il d’abord. "L’affaire avec Marie-Mai, c’est allé trop loin. Je ne voulais pas dénoncer Marie-Mai, la personne. Je voulais juste m’en prendre à un symbole de la pop à numéros, une musique qu’on glorifie comme si c’était le bout de la marde. C’était un clin d’oeil très baveux qui dépassait volontairement la ligne, oui. J’ai sans doute été maladroit là-dessus. Dans le show, j’essaie de rester dans le rire et dans une certaine bonne humeur."

De colère et d’espoir

Plusieurs tirades de Wagner pourraient laisser croire à un homme d’un irrécupérable cynisme. Et pourtant: "Un de mes humoristes favoris, Bill Hicks, disait: "Je suis un misanthrope humaniste", et c’est un peu mon cas aussi. J’ai un numéro là-dessus dans le show: c’est que je souhaite tellement de bien aux gens qu’ils me mettent en tabarnac."

Se ranger du côté d’un projet de pays et d’un parti politique, Option nationale, compte parmi les bouées auxquelles le trublion s’accroche afin de cultiver l’espoir. "Je me suis lié d’amitié avec le chef Jean-Martin Aussant. En parlant avec lui, je me suis rendu compte qu’il y a en politique des bonnes personnes qui essaient de faire avancer la collectivité. Je n’ai donc pas le droit d’être cynique, il faut que je garde espoir. Je n’en ai pas beaucoup, mais j’en ai. Et puis je ne peux pas être tout le temps en criss."