Annick Lefebvre / Ce samedi il pleuvait : La banlieue des extrêmes
Scène

Annick Lefebvre / Ce samedi il pleuvait : La banlieue des extrêmes

Annick Lefebvre imagine une famille de banlieue aux obsessions exacerbées avec Ce samedi il pleuvait, une tragédie moderne mise en scène par Marc Beaupré.

L’auteure vient de la banlieue, et si elle conserve une certaine tendresse envers le lieu de sa naissance, sa pièce en fait un portrait plutôt désopilant. On suit un couple de 45 ans et ses enfants (un jumeau et une jumelle de 15 ans), qui s’expriment à tour de rôle par des monologues hargneux et truffés d’innombrables références à des produits, activités et idées conformistes. Or, le flot verbal énoncé en synchronicité par les jumeaux qui refusent toute forme d’association législative ou intime, et séparément par les parents, devient le déversoir des plus terribles fantasmes imaginés par chacun d’eux. «Je voulais montrer l’accumulation de la complexité de la vie à travers des personnages qui sont dans l’incommunicabilité, explique Annick Lefebvre. Le cliché veut que les gens de la banlieue soient un peu coincés et fassent attention à ce que rien ne dépasse, mais ils ont aussi des pensées horribles qui dépassent d’eux. J’ai développé une dramaturgie des extrêmes pour pousser les personnages vers ces zones dangereuses.»

Entre les propos racistes de la mère, ses fantasmes de catastrophe détruisant son clan, le désir du père de voir mourir ses propres enfants et les jumeaux qui avalent des Lego pour se construire une intériorité plus forte, les personnages de cette satire noire vont en effet très loin dans leurs pulsions malsaines et leurs fantasmagories, comme pour échapper au consensus qui les menace. «Ils essaient de se sortir du conformisme, et le fait qu’ils soient pris avec un flot de pensées qui les attrape et qu’ils ne savent pas gérer et communiquer renvoie au fait qu’ils sont engloutis par ce monde qui grouille autour d’eux. Chaque personnage se sent en échec par rapport au plan qu’il s’est fixé et verra triompher le changement par la bande, inconscient», poursuit Lefebvre, qui travaille depuis cinq ans à cette pièce qui a d’abord été mise en lecture au Festival du jamais lu.

Pour s’attaquer à cette partition vertigineuse, le metteur en scène Marc Beaupré (Caligula Remix, Dom Juan Uncensored) semblait tout désigné. Or, il n’y a pas de technologie ou de complexe conception sonore pour cette production. «Dès notre première rencontre, Marc m’a avertie qu’il ne ferait pas une interprétation classique de ma pièce, explique Lefebvre. Pour lui, les parents sont restés pris à une époque précise de leur enfance et il voulait donc qu’ils soient joués par de jeunes acteurs (Marie-Ève Milot et Alexandre Fortin), tandis que les jumeaux ont l’air plus matures (Sébastien David et Maxime David, de vrais jumeaux identiques dans la vie). Marc aborde la pièce comme une tragédie grecque. Tout doit converger vers la mort du chien, le nœud de l’histoire.»

Le fantôme d’une certaine Ludivine plane aussi sur ce quatuor déchaîné, tel un spectre qui les fait courir vers leur tragique destin. Entre leurs vies programmées et leur désir de s’en extraire, les personnages d’Annick Lefebvre réinventent la banlieue dans un spectacle sanguinaire.