Se mettre dans l’eau chaude / ATSA : Forcer la détente
Qu’est-ce qui se cache derrière notre obsession du confort? L’ATSA répond à cette question de manière trop manichéenne dans Se mettre dans l’eau chaude, une première aventure théâtrale pour le collectif d’intervention urbaine.
Il faut arriver tôt au Spa libre (un Espace libre transformé en lieu de détente) pour enfiler maillots de bain et peignoirs. On nous remet un numéro. Je suis H36. L’analogie avec les camps de concentration est peu subtile et la question sous-jacente: «Le confort est-il la nouvelle tyrannie?» ne l’est pas beaucoup plus. Elle se poursuivra après le yoga, dans une séquence de sauna sec où nos corps partiellement dénudés s’agglutineront sous les grincements d’une trame sonore également explicite.
Les prémisses de réflexion d’Annie Roy et Pierre Allard, directeurs artistiques de l’Association terroriste socialement acceptable, sont pourtant fertiles. Notre obsession du confort individuel, et surtout la manière dont l’industrie s’en empare et l’accentue, est un fascinant phénomène de société qui, en faisant miroiter un bonheur factice, tend à éloigner le conforté de ses obligations sociales. Dans un monde où le massage et la baignoire à remous sont rois, l’homme épris de confort finit par croire véritablement que tous les problèmes lui sont personnels et se règlent avec un passage au spa nordique plutôt que par une discussion collective ou une action engageante. Rien à redire, ce constat s’applique par ailleurs également à l’industrie pharmaceutique, qui a propulsé l’idée que nous sommes tous des malades mentaux facilement guérissables grâce aux médicaments, au lieu de nous inviter à attaquer les problèmes sociaux (qui sont probablement davantage responsables du malaise ambiant que les stricts dérapages de nos cerveaux individuels). Pareil pour le tourisme, qui nous réconforte sur la beauté du monde en créant pour le voyageur des univers artificiels qui masquent le réel.
De telles constatations ne sont toutefois pas suffisantes pour inviter à une véritable réflexion, et c’est là que l’ATSA dérive. Une fois le spectateur sorti du sauna, passé à la douche froide et invité, dans la rue Coupal adjacente au théâtre, à observer quelques scènes dans lesquelles les comédiens racontent le cynisme ambiant, la pièce n’a rien offert d’autre qu’une série d’énoncés moralisateurs. Pourtant, l’intention est clairement de réfléchir profondément au désenchantement ambiant, mais plus encore à la notion de bonheur telle qu’elle se transforme dans une société néolibérale comme la nôtre. Mais il manque à ce spectacle la profondeur philosophique que son sujet imposait, il lui manque un recul intellectuel, peut-être un recours à la pensée de certains penseurs contemporains ou anciens qui fournissent un cadre de réflexion pertinent sur ces questions. Relire tout simplement Abraham Maslow aurait été un bon début. Et aurait pu fournir matière à une discussion animée avec les spectateurs, ce que la pièce tente laborieusement d’orchestrer, de manière hélas! trop plaquée.