La danse au Fringe : En dents de scie
Scène

La danse au Fringe : En dents de scie

Vu dans les premiers jours du Fringe, le premier tiers de la programmation danse oscille entre hyperactivité chronique, corps lascifs et identité féminine troublée.

Signé Kati Bélanger, originaire d’Edmonton et diplômée de Concordia en 2011, MADE of MEAT s’inscrit à merveille dans l’esprit du Fringe avec ses poses provocatrices et ses cabotinages. Vêtues de costumes noir, or et rouge, trois femmes à quatre pattes se livrent à une gymnastique lascive, bientôt rejointes par un homme qui entame avec l’une d’elles une parade amoureuse tandis que les deux autres jouissent de plaisirs solitaires. Dans les trois tableaux qui complètent ce court spectacle, la chorégraphe évoque plus subtilement la sexualité par un travail de partenariat original dans lequel elle imbrique et superpose les corps, concentrant la langueur dans les jeux de mains, les regards, la fluidité et la lenteur des mouvements. Légère, sans prétention et efficace malgré ses transitions bâclées, la proposition porte un bon potentiel de développement.

Issue du même programme universitaire, la Québécoise Cassandre Lescarbeau tombe quant à elle dans les clichés avec Cour arrière. Osant la métaphore éculée de la quête d’équilibre et d’unité avec cinq danseuses juchées sur une seule chaussure, elle joue sur la multiplication de traversées de scène et le déséquilibre pour évoquer la confusion intérieure, de même que sur des images trop littérales comme la difficile progression des interprètes sur un chemin composé de souliers. La gestuelle, tout en mouvements périphériques, n’incarne pas les états psychiques recherchés et seule Danika Cormier offre une présence scénique convaincante. La composition, soignée mais très scolaire, témoigne elle aussi du manque d’inventivité de cette chorégraphe dont la précédente création semblait pourtant prometteuse.

Au chapitre des déceptions, Josiane Fortin, étudiante en maîtrise à l’UQAM, n’atteint pas non plus sa cible dans Corps-peau-ration où, accompagnée sur scène de Myriam Tremblay-Quévillon, elle entend témoigner des effets pervers des standards de beauté imposés par la publicité à l’identité féminine. L’opposition entre une physicalité spectaculaire et une présence plus sensible qu’elle affirme mettre en œuvre pour illustrer cette dualité entre nature et culture n’apparaît pas clairement dans le résultat final. L’implication physique des danseuses dans une gestuelle acrobatique inspirée par le jazz est le point le plus fort de la proposition, mais il n’y a pas ce travail d’état qui donnerait du sens à l’œuvre. Et l’on ne comprend pas non plus quelle relation se noue entre les interprètes, vêtues à l’identique.

Elizabeth Suich et Simon Gélinas Beauregard, finissants respectifs de l’UQAM et de l’École de danse contemporaine de Montréal, s’essayent à une première collaboration pour attaquer, eux aussi, le sujet de l’aliénation de la femme. Leur proposition débute avec trois magnifiques créatures en sous-vêtements figurant d’abord des mannequins manipulés par un technicien et ensuite des danseuses de cabaret dirigées par un metteur en scène avide de sensualité clichée. Elle se poursuit par un intéressant travail gestuel dans lequel la quête d’une plastique parfaite épuise les interprètes et les anéantit. L’usage de chaînes dans l’image finale brise les efforts d’abstraction par sa littéralité et souligne la nécessité pour les créateurs de s’interroger sur le degré de théâtralité qu’ils souhaitent insuffler à cette recherche prometteuse dont la courte durée (15 minutes) ne justifie pas la vente d’un billet d’entrée. 

Autre jeune diplômée de l’UQAM, Anne-Flore de Rochambeau surprend avec la qualité de Sens dessus dessous. Accompagnée de trois autres danseuses, elle y explore comment l’individu subit les influences de son environnement et comment l’hyperactivité des sociétés contemporaines peut lui donner le sentiment de tourner en rond, comme les poissons dans les bocaux suspendus au-dessus de la scène. Si sa gestuelle physique et dynamique manque encore de personnalité, elle fait preuve d’un bel instinct chorégraphique. La subtilité avec laquelle elle joue sur les changements de rythme au sein d’une même phrase ou pour passer d’une section à l’autre donne une fluidité remarquable à cette œuvre de 40 minutes tout en la rythmant judicieusement. Les mouvements de groupe qu’elle a majoritairement privilégiés témoignent d’une parfaite écoute entre interprètes et d’une belle cohésion avec l’environnement sonore.

Enfin, bien plus théâtrale que dansée, la performance de Leslie Baker dans Fuck you! You fucking Perv! est tout bonnement brillante. Dans un récit éclaté jouant habilement sur la tension entre humour et émotion, elle partage l’univers psychique perturbé d’une personne victime de pédophilie.

Un festival en dents de scie qui nous réserve encore bien des surprises.

Le festival Fringe se poursuit jusqu’au 23 juin. montrealfringe.ca