Lise Vaillancourt et Pierre-Paul Savoie / Les chaises : Ionesco est un danseur
Scène

Lise Vaillancourt et Pierre-Paul Savoie / Les chaises : Ionesco est un danseur

Mêlant danse et théâtre jusqu’à la fusion totale, Pierre-Paul Savoie et Lise Vaillancourt proposent une adaptation d’une pièce canonique d’Ionesco, Les chaises, pour un public familial.

«Ionesco écrivait des indications scéniques hyper-précises, et pour moi il est clair que ce sont des indications chorégraphiques.» Ainsi s’exprime Lise Vaillancourt, invitée pour la première fois à écrire un texte de théâtre pour un spectacle de danse, après des années à accompagner le travail du chorégraphe Pierre-Paul Savoie en tant que conseillère dramaturgique. «Il y a une notion de théâtre total chez Ionesco, poursuit-elle. Son théâtre implique mots, rythmes, corps, refus des situations dramatiques traditionnelles, refus du psychologisme. Il y a de la place chez Ionesco pour un théâtre acrobatique, pour de la clownerie, pour des formes spectaculaires très exacerbées. Et évidemment pour la danse.»

Pierre-Paul Savoie ne saurait mieux dire. «Ionesco, c’est déjà profondément une affaire de rythme, de mécanique, de corps chronométrés, de pulsations. J’ai donc commencé le travail à partir des didascalies, sans considérer le texte. Mais je voulais profondément faire jouer mes danseurs, intégrer la parole dans leur travail. Pour eux c’était très vertigineux. Le texte a été chorégraphié syllabe par syllabe, lettre par lettre, pour trouver entre le verbe et le geste une véritable fluidité.»

Un vieux. Une vieille. Des chaises. Des invités invisibles. Puis, un orateur muet, qui tente d’exprimer un urgent message mais n’arrive qu’à dire l’échec du langage. On reconnaît bien là l’univers typique d’Ionesco, son regard sombre sur un monde en déroute après la Seconde Guerre mondiale et sur une humanité en crise existentielle, happée par la mort. C’est cette partition que vont danser et jouer les interprètes Sylvain Lafortune, Heather Mah et David Rancourt.

«Ce qui m’importait dans le texte était de trouver un espace pour que se déploient les questions philosophiques et métaphysiques, dit encore Vaillancourt. On a tendance à refuser de parler philosophiquement aux enfants, alors que, il me semble, c’est ce qui les intéresse le plus.» Opinant du bonnet, Pierre-Paul Savoie ajoute: «La place de l’orateur a été repensée. Chaque fois que j’ai vu Les chaises, j’ai trouvé que cette scène était ratée, que chaque fois il ne se passait rien. Ionesco a bel et bien écrit le silence, la faillite du langage, l’incommunicabilité, mais tout ça doit quand même être signifié sur scène. Ça ne peut pas être simplement vide, ça ne peut pas être simplement une image. Alors on a décidé que cette scène d’incapacité de la parole serait un hommage à la danse. Pas un mot, mais un long solo de 8 minutes. Ça crée un moment de bascule, une ouverture.»

Fruit d’un long processus de création qui a mis à profit les regards allumés d’un groupe d’enfants et d’un groupe de personnes âgées, cette vision fait écho, selon Vaillancourt, à notre américanité. «On n’est pas en Europe en 1950; on est en Amérique dans les années 2000, et je pense que cette distance nous invite à un nouveau constat, à un nouveau regard sur la pièce. L’incommunicabilité est la même qu’en 1950, mais peut-être est-il maintenant possible de l’exprimer mieux, de la rendre plus tangible, de l’aborder de manière plus complexe pour mieux l’apprivoiser et peut-être l’enrayer.»