FTA / Julien Gosselin / Les particules élémentaires : En route vers la posthumanité
Festival TransAmériques 2014

FTA / Julien Gosselin / Les particules élémentaires : En route vers la posthumanité

Le siècle dernier a été marqué par la misère sexuelle. Le prochain sera peut-être celui d’une posthumanité harmonieuse, débarrassée du besoin de forniquer. Ainsi Michel Houellebecq envisage le monde dans Les particules élémentaires, roman fougueusement porté à la scène par Julien Gosselin. Un événement.

Chaque année, les festivaliers avignonnais attendent la perle inattendue, le joyau-surprise, le metteur en scène que personne n’avait vu venir et qui sera bruyamment porté aux nues. L’été dernier, c’était Julien Gosselin, 28 ans, dont le travail a suscité une rare unanimité au sein du gratin français, touchant aussi par sa forme hyper accessible un public varié. La même chose risque de se produire à Montréal au FTA, tant sa lecture des Particules élémentaires est claire, fluide, portée par une savoureuse ironie et une distribution engagée. Depuis sa sortie de l’école de théâtre en 2009, Gosselin a monté Gênes 01, de Fausto Paravidino, et Tristesse animal noir, d’Anja Hilling, jusqu’à ce qu’il se décide à adapter son roman favori de Michel Houellebecq, dont il éclaire magnifiquement les enjeux et capte superbement la temporalité fracturée, dans une esthétique mi-concert pop mi-théâtre filmé, qui met à profit la musique, la vidéo, le surtitrage et les voix amplifiées pour créer un très efficace dispositif de narration.

Gosselin est un fan fini de Houellebecq, faut dire. Pour plein de raisons. «Mon rapport primaire à Houellebecq est d’abord naïf, dit-il. C’est simple, il me fait hurler de rire. Je suis submergé d’émotions en le lisant. Mais je suis aussi soufflé par ses théories sexuelles qui, mêlées à son humour corrosif et ironique, forment un cocktail véritablement explosif. Plus que tout, je trouve qu’il réussit à écrire des textes qui dépassent le stade du roman pour toucher à la politique, au poétique, au romanesque dans le sens le plus grandiose du terme: des poèmes totaux qui me donnent envie de faire à mon tour, sur scène, une sorte de théâtre total.»

Dans ce roman qui entrelace des histoires intimes, traquant la vie de deux frères aux personnalités antagonistes, et des histoires collectives, Michel Houellebecq parcourt la dernière moitié du siècle dernier en faisant un portrait social d’une grande acuité. Sont abordées de front les difficultés sexuelles d’une génération ayant vécu plus tortueusement que prévu la libéralisation des mœurs, mais aussi des considérations plus grandes sur l’évolution de l’humanité, puisant dans la science et surtout la biogénétique. Le spectacle propose aussi une traversée de l’histoire des mouvements culturels français et de leur individualisme insidieux, de l’hédonisme de Mai 68 jusqu’aux meurtres en série des années 1990. Et ce, sans sombrer dans la dérive pornographique que ce roman sulfureux aurait pu entraîner. 

«Dans Les particules, Houellebecq affine la grande thèse qu’il avait commencé à développer dans Extension du domaine de la lutte, à savoir que la grande libéralisation économique a entraîné la libéralisation sexuelle et donc une certaine lutte des classes sexuelles dans laquelle les moches ont été les grands perdants. C’est une thèse avec laquelle on peut ne pas être d’accord, mais elle est bien amenée, parfois avec une compassion énorme et parfois avec une grande dureté.»

Julien Gosselin n’appartient pas à la génération de Houellebecq et, justement, son spectacle met en lumière l’acuité avec laquelle l’écrivain a mis le doigt sur des problèmes sexuels qui n’ont fait que s’accentuer depuis la parution du roman en 1998. Dans une société encore plus hypersexualisée, alors que la fornication se complexifie et ne se vit plus nécessairement d’emblée dans l’hétéronormativité, le désespoir sexuel exploré dans Les particules est plus criant que jamais.

Gosselin s’attache surtout à la portée philosophique du roman. Visiblement épris des idées de l’auteur, il déploie sans réserve dans son spectacle ses thèses sur la paix humaine qui ne sera possible que lorsque l’humanité aura été remplacée par une nouvelle race créée biogénétiquement. Mais n’est-il pas inquiet, comme nous le sommes un peu tous, des dérives du clonage et de la procréation artificielle qui font craindre une forme de néoeugénisme et anticiper des dérapages totalitaires? 

«Bien sûr, dit-il. Mais je n’aime pas trop les spectacles qui insistent trop sur le regard du metteur en scène, ça m’épuise! L’eugénisme, dans ce spectacle, est surtout une métaphore terriblement violente et efficace pour aborder la question du vivre-ensemble. La science devient une chose complètement poétique chez Houellebecq et à la fin du spectacle, les néohumains racontent que les humains qu’ils ont remplacés n’ont jamais cessé de croire en la beauté. Je pense que ce passage eugénique raconte aussi ça, cette insatiable quête de beauté.»

D’ailleurs, il y a rarement chez Houellebecq de contrepoint idéologique, et cette fermeté dans l’expression d’une thèse controversée ne peut que mener le lecteur à des réflexions fertiles sur le sujet et à quelques interminables débats qui auront le mérite d’être passionnants. «Théâtralement, ça m’intéresse, s’exclame Julien Gosselin. Le spectateur se fera sa propre idée et je suis l’homme le plus heureux du monde si le débat est incessant parmi les spectateurs à la fin de la représentation.»

D’une durée de près de quatre heures, la pièce est hyper fluide et maintient le spectateur en alerte, alternant les points d’appui narratifs et se laissant baigner de musique et de segments plus performatifs. «Dans ce roman, explique le metteur en scène, il y a de l’épique, du lyrisme, de l’humour. En travaillant, on sentait qu’un rythme musical s’emparait de nous. On avait quelques instruments de musique, des micros, et rapidement, la question de la temporalité nous a semblé essentielle: on a voulu la distendre, la ralentir, l’accélérer. Je pense que ça nous a permis de créer un spectacle éclaté, mais de garder toujours le cap sur la cohérence globale.»

Au Théâtre Maisonneuve de la Place des arts, le 30 mai à 19h et le 31 mai à 15h; Dans le cadre du Festival TransAmériques, fta.qc.ca