4 pirates du 514: Montréalités et piraterie
Zoofest 2014

4 pirates du 514: Montréalités et piraterie

Des blagues de pirates? Un peu, mais surtout des blagues sur le 514, du Plateau à Hochelaga, en flirtant avec les clichés tout en sachant parfois le faire avec causticité. C’est ce qui est au menu du spectacle Pirates du 514, dans un enrobage théâtral vite abandonné au profit de numéros de stand-ups de Dave Morgan, Alexandre Bisaillon, Jessy Sheehy et Charles Beauchesne.

Ils arrivent sur scène avec des costumes dépareillés évoquant la piraterie et la navigation en haute mer, ou encore la France d’une époque révolue. Dans une tonalité théâtrale excessivement ampoulée, ils débuteront par un sketch racontant vaguement la quête du trésor de Claude Robinson (à la recherche de l’argent obtenu après sa bataille juridique, enfoui sous les mers).

Déjà, devant une série de blagues sur l’affaire Robinson, on se dit qu’on est loin de l’humour consensuel québécois sur les relations homme-femme. C’est tant mieux. Même si cette intrigue mal ficelée, peu fertile et complètement surjouée, ne sera pas le clou de la soirée. C’est en solo que ces quatre humoristes sauront mieux dérider, mais l’union de leurs forces est appréciable: elle permet un regard d’ensemble sur des jeunes artistes représentatifs d’une génération d’humoristes qui aime faire les choses autrement et qui résiste, pour l’instant, aux sirènes d’une industrie lucrative mais désespérément uniforme, laquelle propose année après année un humour formaté et convenu.

Prenez Alexandre Bisaillon. La prémisse de son numéro de stand-up n’est pas des plus originales: un monologue sur Hochelaga et sa population d’éclopés, de défavorisés et de badauds en mal d’âme. Il aligne des clichés sur la pauvreté, les chèques de bien-être social, les dents cariées et autres gags habituels, mais il n’hésite pas à aller un cran plus loin à mesure que le monologue progresse et que la tension monte, jusqu’à flirter, en fin de parcours, avec des propos moins politiquement corrects.

Moi qui ne suis pas un très bon public d’humour, je n’ai pas ri aux larmes comme mon voisin de siège. Mais j’y ai reconnu une voix qui, si elle poursuit dans ce chemin, pourra être très singulière d’ici quelques années. Soyons clairs: Bisaillon demeure aux frontières d’un humour carburant aux stéréotypes et à la caricature facile. Il n’exerce pas de véritable insolence, on ne peut pas le qualifier d’impudent. Mais presque. Et s’il arrivait à manœuvrer l’effronterie avec doigté et crudité, en prenant garde de sombrer dans le diffamatoire, on aurait peut-être là le début d’une grande œuvre. À suivre.

Charles Beauchesne, avec sa dégaine frêle et sa voix de fausset, ose un humour expressif, théâtral, dans une langue ample et fleurie, tout en cultivant une certaine convivialité. S’attaquant avec beaucoup d’à propos à une homophobie qu’il détourne et déconstruit, il déboulonne la pensée hétéro dominante qui fait du mâle gai un homme terrifiant. Rien n’est moins effrayant qu’un homosexuel, argumente-t-il, dans un numéro qui évite brillamment la plupart des clichés anti-gais tout en flirtant avec eux. Il y arrive notamment par l’autodérision, confessant qu’il subit lui-même cette homophobie ambiante à cause de son physique qui tranche avec les normes établies de la virilité. Mais il faut davantage applaudir son style d’énonciation, plutôt rafraîchissant dans le paysage humoristique québécois, et la présence scénique indéniable et assurée dont il fait preuve.

Jessy Sheehy, étrange bête, s’amène ensuite sur scène avec son ukulélé pour un numéro chanté, légèrement absurde, pas spécialement drôle mais dans lequel on apprécie hautement l’énergie fulgurante, le travail vocal précis et la bouille sympathique, fort expressive, de cet humoriste au rire diabolique.

Des quatre, Dave Morgan est le plus «traditionnel» et aura ouvert la soirée avec quelques blagues sur son nom à consonance pirate, égrenant aussi un discours éculé sur les habitants du Plateau Mont-Royal. Il a une gueule angélique, un ton agréable et rassembleur qui fait de lui le bon bougre avec qui on s’imagine passer de bonnes soirées à écumer les bars. Mais rien de très singulier dans son monologue aux ramifications très classiques et aux blagues plutôt formatées. L’humoriste préféré de l’Internet (il traîne souvent avec les stars du web québécois comme Pellep et Matthieu Bonin) n’est étrangement pas l’architecte d’un humour risqué ou limite, ni même d’un humour follement libre, comme on aurait pu le supposer d’un homme habitué à flirter avec les espaces de création prétendument démocratiques qu’offre la toile.

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