Théâtre à lire / F pour Féminisme, par Catherine Léger
Scène

Théâtre à lire / F pour Féminisme, par Catherine Léger

2014 fut une année de hauts débats au sujet de la condition féminine dans l’espace médiatique québécois. Dans le spectacle Abécédaire des mots en perte de sens dirigé par Olivier Choinière, l’auteure dramatique Catherine Léger proposait plus tôt ce mois-ci sa définition toute personnelle du mot Féminisme. Nous vous offrons l’intégralité de sa lettre.

Tyrannie de la beauté dans le travail hautement médiatisé de Léa Clermont-Dion ou mouvement de dénonciation des abus sexuels via le mot-clic #Agression non-dénoncée: voilà seulement deux incarnations d’une discussion féministe qui fut particulièrement agitée en 2014.

Dans une lettre adressée à la Ministre de la Justice et de la Condition féminine, Catherine Léger fait preuve d’ironie mais aussi d’un peu d’insolence pour souligner les dérapages inévitables et les tournures inattendues que prennent parfois ces débats, espérant des balises plus claires pour l’avenir.

Son texte ne vous laissera pas indifférent, nous en sommes persuadés.

Bonne lecture!

 

À lire aussi: notre entrevue avec Olivier Choinière au sujet de l’Abécédaire

Notez que les 26 textes de l’Abécédaire des mots en perte de sens sont parus aux éditions Atelier 10

 

La lettre de Catherine Léger

 

Mme La Ministre Stéphanie Vallée,

Ministre de la Justice et de la Condition féminine

 

Mme La Ministre,

Je vous écris aujourd’hui pour une question importante de sécurité publique. On vit à une époque foisonnante de chroniques et d’opinions. L’accès à une tribune est plus facile que jamais et on assiste actuellement au Québec à une prolifération sans précédent de femmes qui s’affichent publiquement comme féministes. Or plusieurs de ces femmes revendiquent le droit d’être féministe à leur manière, selon leur instinct et ne sentent aucune responsabilité par rapport à l’héritage intellectuel des féministes des générations précédentes. En résulte une situation chaotique où plus personne ne s’entend sur ce que veut dire le mot féminisme.

Il est donc urgent d’agir et de créer l’ordre des féministes du Québec. Inspiré par l’ordre des psychologues ou des pharmaciens du Québec, l’ordre des féministes du Québec aurait pour mission de protéger le public en accordant des permis et en s’assurant que les féministes qui écrivent, entre autres, des blogues sur internet sont effectivement des vraies féministes.

Afin de vous aider à mettre en place le plus rapidement possible, l’ordre des féministes du Québec, j’ai dressé pour vous une liste de dix critères qui devrait, à mon avis, être sine qua non quant à l’obtention d’un permis de féministe.

– Premier critère : Avoir un vagin.

/ Honnêtement les gars qui se disent féministes… Je pense pas non. Ça pue la culpabilité de classe à plein nez. Je veux dire t’as un pénis pis t’es sensible quand même? Wow. Bravo pour toi. Mais quand même, revenez-en.

– Deuxième critère : Avoir contribué à la cause autrement qu’en disant que t’es féministe.

/ Parce que si tu te dis féministe mais que t’as jamais rien fait pour, c’est un petit peu comme si tu disais que c’est toi qui a écrit la toune Love, love me do. C’est juste pas vrai.

– Troisième critère : Avoir contribué à la cause autrement qu’en regardant Sex and the city.

/ Je pense que c’est clair.

– Quatrième critère : Avoir déjà lu au moins un essai féministe dans ta vie.

/ Juste un, fille. N’importe lequel. Mais au moins un.

– Cinquième critère : Être capable de sortir de chez vous sans maquillage de manière inopinée, un autre jour que la journée sans maquillage.

/ Et constater, ô surprise, que le monde entier ne tourne pas autour de ton apparence physique.

– Sixième critère : Arrêter de t’auto-indulger n’importe quoi sur la base que c’est important d’assumer sa féminité.

/ Dans les faits, ton narcissisme et ton besoin de te sentir belle sont exploités au maximum par la société de consommation et transformés en un désir insatiable d’aller magasiner. Pis le pire, c’est tu le sais au fond, t’as juste… T’as juste arrêté de te retenir.

– Septième critère : Avoir de l’argent.

/ Le féminisme de gauche, un moment donné ça va faire, on va commencer par faire de l’argent, pis après ça on verra si ça nous tente de la redistribuer.

– Huitième critère : Avoir eu des relations sexuelles complètes avec au moins une douzaine de personnes différentes.

/ Le chiffre est flexible mais l’idée c’est que tu peux pas être féministe si t’as pas d’expérience sexuelle, tu peux pas être féministe si t’es prude, tu peux pas être féministe si t’as peur de te salir.

– Neuvième critère : Avoir déjà utilisé un dildo sur soi ou sur quelqu’un d’autre.

/ Préférablement sur quelqu’un d’autre, en position strap-on. Pour bien mesurer ce que ça implique de ne pas avoir de pénis, rien de mieux que d’en avoir un pour une dizaine de minutes.

– Dixième critère : Si tu veux être féministe, assume estie. Assume.

 

Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Catherine Léger