Paul Savoie / Sauvageau Sauvageau : Vie et mort de Sauvageau
Paul Savoie est né la même année qu’Yves Sauvageau, auteur à la plume libre et déraisonnable qui s’est suicidé à 24 ans en pleine crise d’Octobre. Dans Sauvageau Sauvageau, une mise en scène de Christian Lapointe, il incarne une représentation fantasmée de l’auteur: occasion rare de replonger dans son œuvre.
Il est mort avant d’avoir pu édifier l’œuvre grandiose qui germait dans ses premiers textes: Yves Sauvageau était à 24 ans un phénomène de curiosité, auteur d’une œuvre pleine de promesses pour laquelle les observateurs du théâtre s’enthousiasmaient. «Il était de la trempe d’un Michel Tremblay», lisait-on ici et là, malgré une œuvre fragmentaire et inachevée qui, dans sa radicalité et sa liberté formelle, n’est pas toujours facile à décrypter. Sa pièce la plus connue, Wouf-Wouf, présente un personnage romantique au possible, jeune homme d’absolu qui, dans une pièce au style et à la temporalité éclatés, déploie un regard férocement critique sur un Québec déjà perdu dans le consumérisme et dans l’absence de rêves.
D’abord invité par le Centre des auteurs dramatiques (CEAD) à orchestrer une lecture publique, le metteur en scène Christian Lapointe a lu toute l’œuvre de Sauvageau pour en faire un montage dramatique étonnant dans lequel un Sauvageau sexagénaire (Paul Savoie), qui a l’âge exact qu’il aurait en 2015, dialogue avec le fougueux jeune homme de 24 ans qu’il était en 1970 (Gabriel Szabo). Celui-là, Savoie se souvient de l’avoir croisé dans les corridors de l’école de théâtre et de l’avoir vu sur scène. «Il était hypertalentueux comme acteur», se souvient-il.
«Ce qui est particulier, dit Savoie, c’est que le dialogue que Christian a construit pour le Sauvageau de 69 ans a été tiré des textes qu’il a écrits jeune, comme si déjà dans l’écriture de jeunesse se trouvaient les ferments de la maturité à venir. Le vieux Yves Sauvageau apparaît ainsi parfois comme un dédoublement, mais c’est aussi une figure paternelle ou l’évocation d’un amant. J’ai toujours voulu travailler avec Lapointe, qui est un artiste brillant et un vrai homme de théâtre, mais quand il m’a remis ce texte-là, j’ai senti un grand vertige; je ne savais pas ce qu’on en ferait. Et à la lecture publique, il y a eu une vraie rencontre avec le public; les gens ont été vraiment interpellés.»
Personne, en effet, ne peut rester insensible devant l’écriture débridée et indomptée de Sauvageau. Fidèle à lui-même et à son intérêt pour un théâtre qui flirte avec la mort et l’absence, Christian Lapointe a ancré le dialogue dans une vive tension entre «la vitalité» et le «désir de mort». Mais ce spectacle sera aussi un hommage à l’homme qu’il fut, par l’intermédiaire d’une première partie documentaire, qui tire profit des recherches de Raymond-Louis Laquerre, un passionné de l’œuvre protéiforme de Sauvageau (il y a consacré son doctorat).
«Ce sera un spectacle intimiste, précise Savoie, mais complètement ouvert, dans lequel la critique sociale apparaît par éclairs.» «On y aborde notamment l’idée que le Québec est dans une forme prolongée de sommeil depuis 1995. Mais ce sera surtout un contact privilégié avec Sauvageau, sa sensibilité, son génie, sa langue. Il a une langue éclatée qui est immédiatement compréhensible et en même temps mystérieuse. C’est très beau.»