Alix Dufresne au festival Quartiers Danse: Haïti en transe
Ces dernières années, la metteure en scène Alix Dufresne s’est prise d’affection pour Haïti et propose dans le cadre de Quartiers Danse un spectacle intitulé N’ap dansé: une quête de transcendance réalisée avec des danseurs urbains et des danseurs de krump de Montréal et de Port-au-Prince. Entrevue.
On la connaît pour son spectacle Paroles, qui a fait fort bonne impression dans la dernière saison du Théâtre Prospero. Metteure en scène dont l’approche est ancrée dans le corps, Alix Dufresne devient chorégraphe le temps d’un spectacle conçu de manière viscérale, au terme de rencontres passionnantes à Port-au-Prince.
«En Haïti, le rapport au mouvement est different du nôtre, s’ébahit-elle. La plupart des gens ont une pleine conscience de leur corps et ils arrivent a des états de présence extrême plus facilement, dans un rapport plus naturel et plus facile à la transcendance. Leur rapport au kinesthésique, au sacré, à une spiritualité spontanée ancrée dans le corps, est tout naturel.»
Le dire ainsi peut sonner comme une évidence. Mais Dufresne, acharnée, a creusé la chose, se rendant en Haïti à deux reprises pour assister à des séances vaudou, essentiellement des cérémonies syncrétiques mélangeant des éléments catholiques et des éléments «tribaux». «Je voulais capter du son, des chants. Je suis privilégiée car j’étais en compagnie des musiciens et j’ai ainsi pu assister à une cérémonie qui dure 5 jours. Ce que j’y ai vu m’a soufflée. Je suis intéressé par le corps qui dépasse ses limites et qui entre en transe. Il y a quelque chose d’universel dans cette recherche de transcendance, qui m’habite profondément.»
Revenue à Montréal avec ses précieux enregistrements, elle a rencontré des danseurs urbains et des danseurs de krump avec qui elle a partagé son trésor et entrepris un dialogue. Ils se sont mis à bouger, cherchant par le kinesthésique à toucher le sacré, à opérer un dépassement de soi. «Certains d’entre eux, qui ont une approche plus traditionnelle de la danse et du vaudou, ont abandonné le projet. Ceux qui sont davantage issus de la rue sont restés car ils se reconnaissent dans ma quête de foi – ils ont comme moi et tous les représentants de ma génération, perdu accès à une spiritualité quotidienne, qui leur manque.»
Le spectacle qui en émerge est un mélange de sacré et de profane, de vaudou et de krump, de danse urbaine et de danse contemporaine. Rien pour plaire aux puristes. Le compositeur Stephan Boucher a aussi intégré le chant de souvenance vaudou à des rythmes pop.
Alix Dufresne y trouve une nouvelle forme de spiritualité, carrément. Mais elle est consciente des questions complexes que sa démarche soulève. «Est-ce de l’appropriation culturelle? Ai-je le droit, en tant que Blanche, de faire ça, de puiser dans ces traditions qui ne sont pas les miennes? La question est posée, elle est passionnante, et je n’ai pas la réponse mais ce que je sais c’est que je travaille avec cette matière dans le respect et dans une authentique quête.»
La pièce est présentée en programme double avec Hidden paradise, spectacle co-interprété par Dufresne et Marc Béland. Ici, autre registre: le duo s’inspire d’une entrevue du philosophe Alain Denault sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première au sujet des paradis fiscaux.
«Cette entrevue, dit la metteure en scène, nous a sensibilisé à la manière dont l’argent des paradis fiscaux affecte nos vies quotidiennes. Il avait une manière formidable de rendre tout cela hyper-concret. On s’est dit qu’il fallait faire entendre cette pensée: en faire un spectacle. Je ne veux pas en dire trop, mais disons qu’on travaille dans l’absurdité et dans la répétition, autour du fait que les paradis fiscaux sont une réalité connue mais qu’elle n’interfère jamais dans nos vies: on continue à ignorer cette réalité et même à y contribuer sans le savoir.»
N’ap Dansé et Hidden Paradise sont présentés en programme double le 18 septembre à 20h à la 5e salle de la Place des Arts.
Consultez aussi la programmation complète de Quartiers Danse.