Claude Poissant à la tête du Théâtre Denise-Pelletier : le début d'un temps nouveau
Scène

Claude Poissant à la tête du Théâtre Denise-Pelletier : le début d’un temps nouveau

À la tête du Théâtre Denise-Pelletier, Claude Poissant renoue avec les grands textes du répertoire et son périple commence par On ne badine pas avec l’amour, de Musset. On l’a attrapé pour discuter de ce travail et de sa vision comme directeur artistique de ce grand théâtre d’Hochelaga-Maisonneuve.

Théâtre à vocation scolaire, le Théâtre Denise-Pelletier a souvent tenu son directeur artistique loin de tout questionnement sur le contemporain, loin aussi d’une vraie volonté de revisiter les classiques à l’aune de notre époque. Avec Claude Poissant à bord, parions que cela va changer radicalement. Le metteur en scène a consacré les 20 dernières années à monter des auteurs vivants et à défricher les nouvelles écritures, collaborant plus souvent qu’autrement avec la crème des jeunes acteurs. Sa saison, en tout cas, donne le ton en s’ouvrant, dans la petite salle, par un spectacle repêché en France et porté par une actrice que l’on dit plus grande que nature.

Ça s’intitule Rendez-vous gare de l’est et traite, entre autres choses, de bipolarité. La mise en scène de Guillaume Vincent, épurée, laisse toute la place au déploiement d’un jeu d’exception. «J’ai vu cette pièce au OFF Avignon et ce fut un choc, explique Poissant. Ce n’est jamais facile, au théâtre, de traiter de la bipolarité et d’entrer dans une zone proche de la folie. Le danger de tomber dans un jeu trop affecté ou trop chargé, dans une représentation factice de l’intériorité, est immense. J’ai trouvé le travail de cette actrice, Emilie Incerti Formentini, franchement exceptionnel. Guillaume a aussi fait un travail de recherche exhaustif et génial; il a su mettre les mots là-dessus.»
 

Un homme, une vision
La distribution de L'orangeraie : -Vincent-Guillaume-Otis, Gabriel Cloutier-Tremblay, Sébastien Tessier et Daniel-Parent / Crédit: LM Chabot
La distribution de L’orangeraie : -Vincent-Guillaume-Otis, Gabriel Cloutier-Tremblay, Sébastien Tessier et Daniel-Parent / Crédit: LM Chabot

La salle Fred-Barry sera donc assurément un lieu de découvertes et d’expérimentation – on y accueillera d’ailleurs des compagnies européennes à l’occasion. Mettons ça dans la colonne des bonnes nouvelles. Autre révolution au programme: la salle principale continue de se consacrer au répertoire mais accueillera chaque année la création d’un texte québécois. Poissant lance le bal avec une adaptation du roman L’Orangeraie, de son fidèle acolyte Larry Tremblay (il a été l’accoucheur scénique de ses textes les plus importants).

Explications? «J’ai fait beaucoup de répertoire dans les années 90 et je suis heureux d’y revenir; j’ai l’intention de redécouvrir des perles oubliées. Le mandat premier du TDP est crucial, mais j’imposerai qu’il y ait chaque année une création dans la grande salle parce que je pense qu’on est rendus là et que le public adolescent sera très stimulé par la création contemporaine. On me dit que c’est un défi de remplir une grande salle comme le TDP avec une création, mais je pense qu’il est temps de prendre ce risque.»

Poissant n’est pas friand, de toute façon, de l’idée de s’adresser au jeune public sur un ton drastiquement opposé à celui qu’on manie pour le public «adulte». Pas question d’infantiliser quiconque, ni de penser constamment aux spécificités du public ado quand viendra le temps de faire des choix. «Je me rends compte que les frontières existent entre les deux publics même si j’aimerais les abolir un peu. Je veux vraiment que ce lieu soit pour tout le monde. Il y a des différences de connaissances générales et une manière différente d’accueillir le public ado, mais c’est important pour moi qu’on fasse en sorte que ce qui est bien fait, bien écrit, bien joué, et ce qui parle du monde ambiant, puisse s’adresser à un public de tous âges. On a d’ailleurs déjà commencé à faire un travail de séduction auprès des profs de cégep, qui ont un peu déserté le TDP ces dernières années.»

Pour le reste, Poissant dit qu’il ne veut pas donner «de lignes directrices claires» parce qu’il essaie de garder son travail «dans le présent et l’instantanéité». «Je m’intéresse avant tout à la vision des metteurs en scène, précise-t-il. Je veux des gens qui sont des penseurs et des chercheurs. Que leur travail soit habité d’un regard pertinent, d’une volonté de discuter vraiment avec les oeuvres.»

Félix Beaulieu-Duchesneau et Marie-Eve Trudel font partie de la distribution de Münchhausen, machineries de limaginaire / Crédit: LM Chabot
Félix Beaulieu-Duchesneau et Marie-Eve Trudel font partie de la distribution de Münchhausen, machineries de limaginaire / Crédit: LM Chabot

 

On connaît Claude Poissant pour son approche intelligente mais sobre des grands textes du répertoire: dans sa propre pratique, il n’est pas adepte des relectures radicales ou des transpositions extrêmes. Son regard sur les classiques est empreint de sagesse et même de retenue. «Je veux que les classiques soient renouvelés, précise-t-il. Mais ça dépend de ce qu’on entend par «renouveler» ou «relire». Je trouve que parfois les adaptations au goût du jour sont factices, et surtout qu’elles se ressemblent toutes. Je n’aime pas quand on balaie complètement le texte et les intentions originales de l’auteur. Je trouve important de faire le travail dramaturgique de base autour de ces grands textes; ne pas les trasher mais les observer avec intelligence, en révéler l’essence, tout en renouvelant le regard.»

Faut dire aussi que les contraintes de production bloquent les initiatives trop radicales. À cet égard Poissant ne met pas de gants blancs: «Un show qui se veut radical doit avoir été créé dans la rigueur et je pense que, pour y arriver, il faut beaucoup de temps et beaucoup de moyens. Personne n’est obligé d’être Ostermeier à tous coups. Il est génial, mais il y a d’autres moyens de faire. Tout ce qui compte, pour moi, c’est l’intelligence du regard, la pertinence de la lecture.»
 

On ne badine pas avec Musset
Alice Pascual, Francis Ducharme, Adrien Bletton, Christiane Pasquier / Crédit: LM Chabot
Alice Pascual, Francis Ducharme, Adrien Bletton, Christiane Pasquier / Crédit: LM Chabot

 

Il sera le premier à se coller à un classique dans les murs de son théâtre en cette saison automnale et, pour donner à voir l’«hypersensibilité» et l’«idéalisme» de Musset, il a réuni une distribution de feu. Francis Ducharme, Alice Pascual, Christiane Pasquier, Rachel Graton et Adrien Bletton deviennent les protagonistes d’On ne badine pas avec l’amour, que Poissant décrit comme «un condensé de vie absolument douloureux».

Qu’a cette pièce pour plaire à un metteur en scène de la trempe de Poissant? «De la fougue, répond-il sans hésiter. Et une réflexion puissante sur l’amour et la jeunesse. On a beau mûrir et rider, on reste toujours habités par la flamme de l’amour de nos 25 ans, l’amour qui fait douleur. C’est ça On ne badine pas avec l’amour, et c’est beau. On comprend tout de suite que Musset avait une aversion pour les vieux désillusionnés de l’amour: il en a fait des personnages marionnettiques et schématiques. Ce sont des personnages archétypaux, qui sont un peu ridicules, mais qui permettent aux trois jeunes d’éclore réellement, de montrer leur amour de manière encore plus fougueuse.»

Mais l’amour, chez Musset, ne se réalise jamais vraiment même s’il est désiré avec ardeur. Poissant et sa bande s’en amusent autant qu’ils s’en attristent. «On a passé beaucoup de temps à décortiquer les stratégies du personnage de Perdican, celles de Camille aussi, ainsi qu’à questionner leur orgueil, leurs jeux secrets, leurs façons de désarmer l’autre. Leur impossibilité de parvenir à l’amour rêvé est tragique. C’est une réflexion très forte sur l’impossibilité de la romance parfaite, sur l’impossibilité de la pureté et de la totalité, même s’il faut continuer à en rêver.»

La pièce flirte avec différents genres; Musset se plaisait visiblement à ne respecter aucune des règles en valeur à son époque. Un rebelle? En tout cas un anticléricaliste notoire, qui s’en donne à coeur joie dans cette pièce. «Camille se sauve dans la foi pour ne pas souffrir. C’est une fuite, une protection. Il y a bel et bien quelque chose d’un peu baveux dans cette pièce. Influencé par Shiller et Shakespeare, Musset écrit de manière très spontanée une oeuvre volontairement irrespectueuse et irreligieuse.»
Poissant et Musset: deux «baveux», chacun à leur manière.

 

Rendez-vous gare de l’est, jusqu’au 26 septembre à la salle Fred-Barry.

 

On ne badine pas avec l’amour, du 30 septembre au 24 octobre dans la salle principale.

 

Au Théâtre Denise-Pelletier.