Société

La «guerre» des médecins : Un dissident sort des rangs

Ex-participant de La Course autour du monde, MARC FORGET pratique la médecine en Abitibi-Ouest. Pour lui, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec souffre de corporatisme aigu; et ses membres, de cupidité chronique. «J’ai honte de ma profession, dit-il. J’ai mal à ma médecine.»

«So So So Solidarité!
Ce n’est qu’un début, continuons le combat!»
– Refrain connu

Depuis bientôt un mois, un bras de fer oppose le ministre de la Santé et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), qui réclame 190 millions de dollars supplémentaires répartis sur trois ans.
Raisons officielles invoquées: continuer à assurer l’accès aux services médicaux pour la population québécoise, et amortir l’augmentation des coûts reliés à la pratique (frais de bureau). Pour ce faire, divers moyens de pression sont mis en application et, le 29 mai, six cents omnipraticiens votaient en faveur de ces moyens de pression à 99 %.
Ils envisagent même de recourir à la grève.

Question d’argent
Permettez-moi de me poser en dissident. Je suis un jeune omnipraticien qui exerce dans une des régions les plus dépourvues médicalement de toute la province: l’Abitibi-Ouest. Ici, les médecins doivent être urgentologues, psychiatres, et même anesthésistes. Ils doivent assurer les services à domicile, les soins intensifs, les soins prolongés, l’hospitalisation, la pédiatrie et l’obstétrique.

La charge de travail est lourde. Très lourde. Nous ne voyons en moyenne qu’entre quinze et vingt-cinq patients par jour en cabinet (un peu plus à l’urgence). Aussi, nous avons tous hurlé de rire lorsque nous avons vu que les omnipraticiens demandaient qu’on abolisse le plafond de cinquante visites par jour (plafond d’ailleurs récemment négocié par la FMOQ).

Brisons quelques tabous ici et parlons BIDOUS. Un médecin est payé, en cabinet, entre quinze et trente dollars par examen – les deux tiers étant des examens dits complets, donc facturés à trente dollars. Il génère donc, au bas mot, un revenu de 1250 dollars pour sa journée de travail.
Attendez, ce n’est pas fini…

Dans les dispositions actuelles, un médecin pourrait voir quatre-vingts patients par jour, ne facturer que les examens complets (disons cinquante, la limite) et ainsi gagner 1500 dollars pour une journée de travail! Ajoutez à cela trois jours de travail par semaine et douze semaines de vacances, et vous aurez le portrait.
Or, croyez-le ou non, mais selon la FMOQ, il semble que ce ne soit toujours pas suffisant…

Le travail à la chaîne
Vous venez de comprendre un problème majeur dans ma profession: tu veux faire de l’argent? Tu n’as qu’à travailler vite et mal. (Les médecins qui me liront pourront aisément identifier un confrère de leur entourage, celui qui sait facturer.)

Selon vous, pourquoi manque-t-il de médecins à Montréal? Parce qu’il est beaucoup plus simple, plus payant et moins dérangeant de faire du sans rendez-vous, ou de se bâtir une clientèle fidèle qu’on verra très (trop) souvent au bureau, plutôt que d’aller assurer des services en CLSC, à domicile ou en centre d’accueil.

Pour obtenir le même revenu qu’un omnipraticien, un neurochirurgien doit procéder à trois chirurgies d’urgence («clipper» un anévrisme cérébral, par exemple), et ce, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit!
Je ne suis pas le seul à être mal à l’aise avec les effets pervers de la rémunération à l’acte. Comme groupe, les médecins ont adopté la stratégie de l’autruche…

Je suis de ceux qui ne croit pas «exagéré» ou «discriminatoire» l’utilisation de mesures plus musclées pour assurer la présence de médecins où il en faut. Je ne crois plus à la sacro-sainte liberté de pratique lorsque je vois l’interprétation que certains en ont faits. C’est devenu un concept galvaudé, qui entraîne les médecins à assumer de moins en moins les responsabilités de groupe, et de plus en plus leur bien-être individuel. Nous reflétons sûrement l’égoïsme de notre société. Nous sommes passés de l’altruisme au productivisme. Si ma fédération voulait être crédible, elle ferait la chasse aux spécialistes du sans rendez-vous et aux autres parasites du genre, plutôt que de les encourager.

J’ai honte de ma profession et du message hypocrite qu’elle envoie à la population. J’ai mal à ma médecine. Au corporatisme de ma fédération. Au monstre qu’est devenue la rémunération à l’acte.

Je n’irai plus à vos journées d’étude et à vos manifestations ridicules.
Je n’irai pas marcher sur le Parlement avec des slogans et des pancartes.
Et, s’il le faut, je deviendrai le premier scab de l’histoire de la médecine.