Médication pour enfants hyperactifs : Les nerfs!
Société

Médication pour enfants hyperactifs : Les nerfs!

Les médicaments psychiatriques seraient-ils nocifs aux enfants? Une enquête américaine révèle que, faute d’études rigoureuses, des traitements sont souvent prescrits aux jeunes sans savoir s’ils sont efficaces, voire dangereux pour eux. Au Québec, pédopsychiatres et parents s’interrogent…

«Je connais un garçon de neuf ans qui prend tous les jours deux antidépresseurs, un antiparkinsonien, ainsi que du Cogentin pour contrôler les tremblements causés par les antidépresseurs, raconte le pédiatre Gilles Julien. Les effets d’un tel cocktail de médicaments psychiatriques sont, pour l’heure, totalement inconnus…»

Plus inquiétant encore: pas besoin d’un cocktail de médicaments pour être passablement alarmé, le simple fait de prendre un seul médicament psychiatrique peut soulever quelques inquiétudes, comme le dévoile une récente enquête américaine réalisée par l’éminent National Institute of Mental Health (NIMH) et publiée dans le journal de référence American Academy of Child & Adolescent Psychiatry. L’auteur de celle-ci, Peter S. Jensen, chercheur au département Enfants et Adolescents du NIMH, explique: «Il existe des grandes lacunes dans nos connaissances sur les effets de ces médicaments sur les enfants. Surtout dans le domaine de la dépression. Aussi serait-il judicieux d’être plus prudent lorsqu’on prescrit ces médicaments aux jeunes.»

Toutefois, il soulignequ’il «pourrait y avoir des conséquences désastreuses si jamais les médecins arrêtaient leurs prescriptions. Car ces traitements peuvent très bien se révéler sûrs et efficaces. Le problème, c’est qu’on n’en sait rien.»

Les tannants
À Québec, 7 % des enfants et des adolescents souffrent de troubles psychiatriques. L’un des plus communs est le trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Le médicament le plus souvent utilisé pour y remédier est bien connu: il s’agit du Ritalin. Un médicament qui connaît un succès phénoménal puisque le nombre d’ordonnances dans la province est passé de 37 000 en 1990 à plus de 183 000 en 1997!

Diane Bilodeau s’occupe de l’Association de parents d’enfants ayant un déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (Apedah), située à Lévis. «Seulement dans la ville de Québec, dit-elle, il y a entre un et deux enfants par classe qui prennent du Ritalin quotidiennement. Ces enfants, ce sont les "tannants" de service. Ceux qui n’arrêtent pas de gigoter sur leur chaise, de parler à leur voisin, de jouer avec leur stylo au lieu de faire un exercice, ou de rêver en regardant par la fenêtre. Ceux qui, parfois, piquent de grosses crises de colère. Que ce soit à la garderie, à l’école, à la maison ou en vacances. Tout simplement parce qu’ils n’arrivent pas à fixer leur attention sur quelque chose de précis. Le Ritalin calme ces enfants et leur permet d’être moins distraits.»

Elle poursuit: «La vie des parents ayant un enfant victime de TDAH peut être infernale. Non seulement ils ont un bambin qui est intenable, un vrai petit diable, souvent dès la naissance, mais aussi, ils doivent affronter le jugement des autres, qui estiment que l’enfant est turbulent parce que mal élevé, qui pensent que donner un médicament psychiatrique à un enfant, c’est démissionner de son rôle de parent, ou encore qui croient dur comme fer que les parents droguent leur enfant pour avoir la paix. Alors, maintenant qu’une enquête américaine s’inquiète du manque d’études rigoureuses sur les effets réels de tels médicaments sur les enfants, vers quoi les parents vont-ils pouvoir se tourner pour trouver une solution?»

Camisoles chimiques ou pilules miracle?
Heureusement, l’enquête de Peter S. Jensen apporte un certain réconfort à ceux qui ont recours au Ritalin. Il s’agit là d’un médicament qui existe depuis 1955 et dont les effets sur les TDAH sont connus depuis 1981. En revanche, d’autres médicaments psychiatriques soulèvent quelques interrogations…

René Boisvert, pédopsychiatre au Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL), explique: «Dans cette enquête figurent différents médicaments utilisés pour les TDAH. Notamment certains antidépresseurs. Mais moi, je ne les prescris jamais car ils ont des effets secondaires parfois si lourds qu’ils présentent plus d’inconvénients que d’avantages. En effet, cela peut aller de la bouche sèche à la transpiration excessive, ou encore de la perte de poids au changement de la pression artérielle et du rythme cardiaque. Sans parler des coups de fatigue et des maux de tête. Personnellement, je ne donnerais jamais ça à un enfant.»

«Ce que je retiens de cette enquête, souligne le docteur Boisvert, c’est que la médication seule n’améliore pas les troubles psychiatriques chez l’enfant.

L’approche doit être multimodale, c’est-à-dire que l’enfant et ses parents doivent être suivis par un pédopsychiatre, à l’écoute de leur histoire propre. Le médicament ne sert qu’à arrêter le cercle vicieux dans lequel tourne désespérément l’enfant.

Alors, le travail peut commencer. En particulier, pour les TDAH, en redonnant à l’enfant confiance en ses capacités, en lui montrant par exemple qu’il peut réussir à l’école s’il suit certaines méthodes pour rester attentif en classe.»

Les médicaments psychiatriques, camisoles chimiques ou pilules miracle? Pour vraiment le savoir, il faut attendre que de véritables études soient réalisées. En attendant, le mieux est de suivre toute la procédure avant de donner quoi que ce soit à son enfant.

Quelle procédure? Un: observation des parents des troubles particuliers que présente leur enfant. Deux: observation de l’enseignant des mêmes troubles qui se répètent en classe. Trois: examen médical préliminaire afin de vérifier s’il ne s’agit pas simplement de problèmes dus à un défaut visuel ou auditif, par exemple.

Quatre: observation d’un pédopsychiatre et d’un neurologue pour voir quels troubles précis présente l’enfant. Cinq: traitement, notamment par médication si nécessaire.

Diane Bilodeau prévient: «Les parents qui vont juste voir leur médecin de famille et qui obtiennent aussitôt une ordonnance de Ritalin font une grave erreur. Moi, je leur conseille de changer de médecin. Il faut absolument suivre toutes ces étapes avant de faire avaler le moindre médicament psychiatrique à son enfant.»

Le Ritalin dans le monde

Au Canada et aux États-Unis, la vague du Ritalin connaît un succès foudroyant depuis les années 80. Au Québec, le médicament est officiellement considéré comme une «drogue contrôlée», c’est-à-dire qu’il n’est prescrit que sur ordonnance. Le patient doit être rigoureusement suivi.

Même si le statut du Ritalin est similaire en France, il y est beaucoup moins utilisé. Pour contrôler les enfants turbulents, les enseignants font preuve d’autorité, un concept presque devenu tabou chez nous.

En revanche, en raison du peu de données disponibles sur ses effets à long terme, le Ritalin est tout bonnement interdit en Suède et en Italie.

Ritalin: la nouvelle coke

Le Ritalin est utilisé à des fins médicales. Mais depuis le début des années 90, ce stimulant du système nerveux central est aussi devenu une drogue «récréative». Pas étonnant: il possède les mêmes propriétés que le speed et autres amphétamines illégales. Autant le Ritalin calme les enfants hyperactifs, autant il stimule les gens qui ne souffrent pas de désordre psychologique.

Plusieurs étudiants ont recours au Ritalin pour les aider à traverser des périodes de rush. Certains consomment les comprimés par voie buccale; d’autres en font de la poudre, qu’ils sniffent ou s’injectent. Aux États-Unis, on peut se procurer des comprimés de Ritalin sur le marché noir pour cinq dollars pièce. Les Foo Fighters ont d’ailleurs traité de l’abus de Ritalin sur leur single This Is a Call, en 1996: «Ritalin is easy / Ritalin is good / Even all the ones who watered down the daughter…»

Le site Internet Student.com consacre un mini-dossier à la popularité du Ritalin dans le milieu étudiant. Un élève de Harvard avoue en consommer régulièrement. «J’ai commencé à prendre du Ritalin au high school, dit-il. Depuis, tous les travaux que j’ai rédigés l’ont été sous l’influence du Ritalin. Ça m’aide à rester éveillé. Il y a des risques, je sais, mais en bout de ligne, je crois que ça vaut le coup. Actuellement, sur les campus, c’est plus facile de se procurer du Ritalin que de la mari.» Selon Student.com, le Ritalin est devenu un accessoire obligatoire des confréries, au même titre que la bière et les affiches de Pamela Anderson.

Le trafic illégal de Ritalin a pris une telle proportion que la célèbre Drug Enforcement Administration, l’agence fédérale qui supervise la lutte contre le trafic de drogues, a inscrit le Ritalin sur sa liste d’ennemis pharmaceutiques numéro un – aux côtés de la cocaïne. Selon la DEA, les cas de surdose causée par le Ritalin ont augmenté de 1000 % au cours des dernières années, et le nombre de prescriptions a quintuplé entre 1990 et 1996. «Entre 7 et 10 % des jeunes Américains consomment du Ritalin, affirme un rapport de la DEA. Dans certaines villes, 20 % des jeunes sont sur le Ritalin! On médiatise trop cette drogue, on la promeut trop, et on en prescrit trop. L’utilisation du Ritalin est en train de devenir endémique. Il est temps d’agir…»

En 1968, la Suède a interdit la vente de Ritalin sur son territoire, pour cause d’abus. La célèbre pilule subira-t-elle le même sort en Amérique du Nord? On en doute. Après tout, les profits provenant de la vente de Ritalin atteignent les 450 millions de dollars par année. Une véritable manne pour l’industrie pharmaceutique… (Richard Martineau)