Projet-pilote sur la prostitution : Sortie de secours
Société

Projet-pilote sur la prostitution : Sortie de secours

Cet été, un projet-pilote visant à déjudiciariser la prostitution sera mis sur pied dans Centre-Sud et au centre-ville. Alors que certains crient au scandale et craignent que le quartier ne devienne un bordel à ciel ouvert, les instigateurs du projet pensent que Centre-Sud est déjà un bordel à ciel ouvert, et qu’il est urgent de remédier à une répression policière cruellement inefficace…

«En 1993 et en 1995, des résidants de Centre-Sud sont descendus dans la rue avec des bats de base-ball pour chasser les prostituées, et je crois que de tels gestes pourraient très bien se reproduire actuellement», laisse tomber Marie-Claude Charlebois, de la Coalition pour les droits des travailleuses et travailleurs du sexe. Il y a deux semaines, lors d’un conseil de quartier particulièrement houleux qui réunissait près de trois cents personnes, un élu en colère a même crié qu’il «était là en 93, et qu’il serait encore là l’été prochain s’il le fallait»…

D’ordinaire tendues, les relations entre citoyens et prostituées frôlent aujourd’hui la catastrophe, alors qu’approche la date des consultations publiques qui décideront du sort d’un projet pilote qui doit être mis en branle l’été prochain. Préparé par plusieurs organismes communautaires en concertation avec le Service de police, ledit projet-pilote a comme objectif de déjudiciariser la prostitution dans le quartier Centre-Sud; bref, de favoriser le dialogue entre les prostituées et les policiers au lieu de faire pleuvoir les arrestations et les contraventions, des méthodes aussi coûteuses qu’inefficaces.

Peine perdue
«Actuellement, tous les intervenants s’entendent pour dire que la méthode classique ne fonctionne pas, explique François Vermette, de l’organisme Alerte Centre-Sud. Par exemple, si un citoyen se plaint que des actes de prostitution ont lieu dans sa cour ou dans sa ruelle, et qu’il appelle le 911, la police ne se déplacera pas tant et aussi longtemps que d’autres plaintes n’auront pas été logées. Et même si, au bout de plusieurs plaintes, les policiers intervenaient, deux scénarios sont envisageables: ou ils embarquent la fille, ou ils lui donnent une contravention. Dans les deux cas, elle sera de retour à la même place le lendemain, et elle fera deux fois plus de clients pour rattraper le salaire perdu la veille… Les policiers eux-mêmes nous disent qu’ils n’ont pas les outils pour faire une intervention efficace!»

C’est de l’augmentation constante de la prostitution dans Centre-Sud depuis une dizaine d’années qu’a émergé le besoin de trouver une solution alternative au problème, d’où la mise sur pied du projet-pilote. Dès l’été prochain, six équipes composées d’un travailleur communautaire et d’un policier en uniforme seraient en service vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Ils se rendraient sur les lieux de chaque plainte pour entrer en contact avec la prostituée: ils pourraient alors lui conseiller d’aller dans un endroit plus discret, de faire attention pour ne pas laisser traîner de condoms, ou tout simplement à lui venir en aide, si elle a été victime de violence ou si elle est droguée.

Un des effets du projet-pilote pourrait aussi être l’amélioration de la sécurité des prostituées. En recevant de l’aide au lieu de collectionner les contraventions, elles seraient davantage portées à aller voir la police en cas de viol, de vol, etc. «On sait qu’une fille qui a quarante contraventions impayées n’ira pas porter plainte à la police… Ça peut mettre sa sécurité en danger», explique François Vermette.

Les instigateurs du projet-pilote soutiennent que le nombre d’intervention réalisées auprès des prostituées, loin de diminuer, va s’accroître, parce qu’il y aura plus de ressources consacrées exclusivement aux problèmes reliés à la prostitution. Actuellement, les policiers, qui ont aussi bien d’autres chats à fouetter, ne se déplacent que s’il y a plusieurs plaintes pour un même cas…

Agir là où ça fait mal
Actuellement, seuls les quartiers Centre-Sud et centre-ville seront concernés par le projet. «C’est certain que l’idéal serait d’étendre le service à toute la ville, explique Marie-Claude Charlebois. Mais comme c’est encore un projet-pilote, donc à l’essai, on attend de voir les résultats. Si ça marche aussi bien que prévu, on pourra penser à l’étendre au reste de la ville. Pour l’instant, le projet est concentré là où la prostitution est la plus visible, là où elle dérange le plus.»
L’idée n’est pas tant d’enrayer la prostitution – ce que même la répression la plus sévère est incapable d’accomplir -, mais d’atténuer les désagréments qu’elle cause aux gens qui vivent dans les quartiers où elle est pratiquée au vu et au su de tous. «La prostitution est également très présente dans les hôtels du centre-ville, explique François Vermette, mais cette prostitution-là ne dérange personne. C’est sur la prostitution de rue qu’il faut se pencher. Ce qu’on veut faire, c’est essayer d’enrayer les comportements qui dérangent les résidants, comme les bruits nocturnes, les condoms et les seringues laissés dans les ruelles, la sollicitation aux endroits peu convenus, etc. Sinon, l’alternative serait de chasser les prostituées dans un autre quartier, ce qui évidemment ne constitue pas une solution souhaitable…»
Une des craintes majeures chez les citoyens de Centre-Sud, c’est que le projet-pilote attire les prostituées des autres secteurs, créant ainsi un véritable Red Light montréalais. Les responsables du projet ne croient pas qu’une telle situation se produise: d’une part, parce qu’il y aura encore plus de policiers affectés à la prostitution que dans les autres quartiers; et, d’autre part, parce qu’ils procéderont toujours à des arrestations si une prostituée commet des actes criminels, ou si les interventions ne sont pas efficaces. La répression policière sera toujours une avenue, dit-on, mais ce ne sera pas celle qui sera employée en premier lieu.
«Je pense que les gens qui décrient le projet ne l’ont pas bie compris au départ, explique François Vermette. Il a tellement été mal couvert par le journal local que tous les gens qui ont lu l’article sont contre le projet, ce qui est très compréhensible. Bref, on a tout un rattrapage à faire au niveau des communications.»
Marie-Claude Charlebois croit elle aussi que certaines personnes sont délibérément en train de désinformer la population en malmenant publiquement le projet-pilote sur lequel elle travaille. «Certains crient sur les toits que les policiers ne répondront plus aux plaintes dans Centre-Sud, et que les prostituées seront laissées à elles-mêmes, alors que c’est tout le contraire qui est prévu!»
Pense-t-elle que cette désinformation pourra venir à bout du projet? «Je ne sais pas. Mais une chose est sûre: il est urgent que nos élus se prononcent clairement en faveur du projet-pilote. La semaine dernière, au Conseil de ville, j’ai trouvé que le maire Bourque était très compréhensif face au projet: en fait, c’était la première fois que les propos de cet homme m’épataient! Mais il va falloir qu’il prenne position publiquement sur la question, histoire que les détracteurs du projet comprennent que c’est du sérieux. L’appui politique, c’est notre seule façon d’acquérir de la crédibilité auprès des gens, parce que les groupes communautaires comme le nôtre ne font absolument pas bouger l’opinion des citoyens en colère…»
«Mais je crois que le projet ne pourra pas être mis en oeuvre si les citoyens n’en veulent pas: cela risquerait d’entraîner des répercussions violentes à l’endroit des prostituées, et on tient absolument à éviter ça.»