Le budget Landry : La tête dans le sable
Société

Le budget Landry : La tête dans le sable

En baissant massivement les impôts, Bernard Landry risque de compromettre la capacité de l’État d’offrir des services  publics.

Le ministre des Finance du Québec nage en pleine euphorie. Comme dans les années soixante, la croissance économique est actuellement très élevée. Notre économie exportatrice, de plus en plus à la remorque de l’économie américaine, profite des succès de nos voisins. En conséquence, les surplus budgétaires s’avèrent élevés. Devant cette manne, Bernard Landry jouit. Il s’empresse de réduire les impôts, sans se préoccuper de ce qui arrivera lorsque la croissance s’atténuera. Avec des taux d’imposition plus bas, un ralentissement de la croissance aura pour effet des revenus plus faibles pour l’État. Ce qui entraînera des coupures dans les services et la privatisation de la santé.
Quoi faire avec nos surplus en période de croissance? Mieux vaut être prévoyant et en mettre de côté. Cette prévoyance est particulièrement conseillée pour ceux qui croient que l’État doit assurer une éducation et des soins de santé gratuits et accessibles. Deux raisons militent en faveur d’une réduction de la dette plutôt que des baisses d’impôt: le vieillissement de la population et le risque d’une éventuelle récession.

Des coûts de santé explosifs
Alors que la société québécoise vieillit, les coûts de santé vont en augmentant. La pression est déjà très lourde. Imaginez ce qu’il en sera lorsque les baby-boomers auront quinze ans de plus. Le Vérificateur général du Canada anticipe que le minimum additionnel nécessaire pour répondre aux besoins reliés au vieillissement représenterait près de sept points de pourcentage du PIB en 2020! Des coûts supplémentaires reliés au vieillissement dépassant les quinze milliards de dollars s’additionneront alors.
Ce fardeau s’ajoute à la dette publique qui pèse sur les épaules des générations montantes. L’économiste américain Paul Krugman explique ainsi la situation: «En promettant une rente de retraite et des soins de santé à des millions de personnes sans mettre de côté suffisamment de fonds pour payer ces services, les gouvernements ont en réalité créé une énorme ette supplémentaire qui n’apparaît pas das les données budgétaires habituelles.» C’est cette situation explosive qui a convaincu le gouvernement Clinton d’adopter un plan de réduction de la dette de 2/3 d’ici 2013.

Le Québec vieillit
Qu’en est-il de la situation québécoise? Le vieillissement de la société québécoise est beaucoup plus rapide qu’aux États-Unis. Au Québec, le ratio«65 ans et plus sur 25-64 ans» passera de 20 à 35 % en 2020; alors qu’aux États-Unis, la progression fera passer ce ratio de 21 à 29 %.
Quand nos aînés cogneront à la porte des hôpitaux, aurons-nous les moyens de les soigner? Si la réponse est négative, l’unique option sera la privatisation des soins de santé. Ceux qui en auront les moyens s’offriront les services de leur choix. Les autres souffriront.
Devant cette éventualité, il n’y a qu’une seule voie de solution: commencer à épargner. À la manière d’une caisse de retraite à laquelle on cotise en vue de ses vieux jours, la mise sur pied d’une caisse de santé financée à même les économies d’intérêt que nous pourrions récupérer suite à un remboursement progressif de la dette pourrait permettre de «capitaliser» les soins de santé des baby-boomers. De cette façon, les générations actives d’aujourd’hui pourraient financer une partie des soins de santé qu’ils recevront plus tard.

La prochaine récession
Jamais, depuis la Deuxième Guerre mondiale, l’économie américaine n’a connu une croisssance économique aussi longue. Certains économistes affirment même que cette croissance sera éternelle. Soyons sérieux. Comme à la fin des années quatre-vingt, nous aurons un jour une récession. Et les revenus de l’État diminueront. Si nous n’avons aucune marge de manoeuvre, ce sera alors le déficit ou les coupures. C’est d’ailleurs pour éviter de telles situations que la théorie économique communément admise indique qu’il est préférable d’accumuler des surplus en période de haute croissance pour être capable de maintenir les programmes sociaux en période de récessio. Certains gouvernements ont préféré baisser les impôts plutôt que de réduire leur dette. Pensons au gouvernement ontarien de Mike Harris, qui emprunte pour réduire ses impôts. Ronald Reagan avait utilisé la même recette aux États-Unis en réduisant les taux d’imposition au début des années quatre-vingt. Lorsque la situation économique s’est détériorée, le gouvernement américain a coupé. Cette expérience fait dire au journal The Economist que l’utilisation des surplus pour réduire les impôts, plutôt que de réduire la dette constitue la meilleure façon de réduire la taille de l’État. Que Bernard Landry le veuille ou non, le gouvernement péquiste n’a pas ce mandat.

La compétitivité
Certains affirment qu’il est essentiel de réduire les impôts au niveau de l’Ontario pour rester compétitif. Mais allons-nous réellement améliorer notre compétitivité en baissant les impôts des particuliers? Contrairement aux taxes imposées directement aux entreprises, la charge fiscale des particuliers n’est pas déterminante dans la décision d’une entreprise d’investir ici. Elle n’est qu’un élement parmi d’autres qui affectent les coûts de main-d’oeuvre. En fait, la quantité de travailleurs disponibles a beaucoup plus d’importance. Il en va de même quant à la présence d’un système de santé gratuit qui permet aux entreprises d’économiser d’importants montants versés en primes d’assurance. Ces arguments sont d’ailleurs soulevés dans une étude de KPMG qui conclut que le Québec est très compétitif du point de vue des investisseurs.
On le voit bien, la réduction des impôts personnels n’est pas nécessaire pour favoriser la création d’emplois. L’effet réel de cette baisse d’impôt sera de déplacer vers la consommation des sommes qui auraient été dirigées normalement vers des services publics. Et n’oublions pas que les Québécois sont 20 % moins riches que les Ontariens. C’est donc dire qu’il nous serait impossible de nous offrir les mêmes services qu’en Ontario si nous atteignons les mêmes taux d’imposition. Moins de srvices qu’en Ontario, est-ce ce que nous voulons?

Du tape-à-l’oeil en éducation
Le budget Landry concrétise l’engagement du Sommet de la jeunesse d’investir un milliard de dollars sur trois ans dans le développement du système d’éducation. Le ministre des Finances a également annoncé qu’il verserait, dès le prochain budget, cent cinquante millions de dollars aux institutions scolaires pour qu’elles éliminent leurs déficits accumulés. Et il ajoute vingt-quatre millions de dollars pour améliorer les bourses des étudiants en maîtrise et doctorat. Ces montants témoignent-ils d’un véritable effort en faveur de la jeunesse? Il faut d’abord relativiser ces montants en tenant compte de l’ensemble des surplus qui se dégageront dans les trois prochaines années. Selon les prévisions, lesdits surplus atteindraient le niveau de dix milliards de dollars sur trois ans. Près de la moitié de ce montant (4,5 milliards) ira en baisses d’impôts et seulement 10 % ira au développement du réseau de l’éducation.

Le PQ plus à droite que les libéraux fédéraux
Plutôt que de protéger notre marge de manoeuvre, le ministre des Finances a choisi de réduire les revenus éventuels de l’État. Les baisses d’impôt cumulatives de 4,5 milliards sur trois ans de Québec dépassent même la baisse des impôts du gouvernement fédéral qui sera de 2.7 milliards pour la même période. Bernard Landry se fait une fierté de souligner qu’il bat Paul Martin. En triplant son engagement électoral de 1.3 milliard de baisse d’impôt durant le mandat, le gouvernement du PQ ne carbure plus à la justice sociale. Exit les beaux discours de Lucien Bouchard sur la nécessité de se prémunir contre «le vent de droite qui vient du Canada».


Le budget Landry prévoit d’ici 2002 des baisses d’impôt de 10 à 35 % selon le niveau de revenu et le statut familial:

* Une salariée ayant deux enfants et un revenu de 45 000 dollars verra son impôt diminué de 27 % (1 133 dollars);
* Une famille ayant deux enfants, et dont les deux arents travaillent et gagnent ensemble 50 000 dollars, verra son impôt diminué de 34 % (1 733 dollars);
* Une famille ayant deux enfants, et dont les deux parents travaillent et gagnent ensemble 100 000 dollars, verra son impôt diminué de 11 % (1 803 dollars);
* Une célibataire vivant seule verra son impôt diminué de 16 % (673 dollars).