Les droits de la personne à Cuba : Le silence est d'or
Société

Les droits de la personne à Cuba : Le silence est d’or

Dans l’affaire Elian Gonzalez, l’inflation des mots va bon train. Les anti-castristes affirment que Cuba est un enfer, alors que les gauchistes disent que Fidel n’a rien à se reprocher. Mais quelle est la véritable situation des droits humains sur le terrain?

Retourner Elian Gonzalez à Cuba serait le rendre à un pays qui bafoue sans relâche les droits de la personne, pensent les exilés cubains de Miami. L’État cubain ne commet pas de violations des libertés humaines sur son territoire, croient les pro-castristes. Qui dit vrai? Qui dit faux? Le sujet mérite un certain éclaircissement.
À Cuba, il n’y a pas de répressions sanglantes. Ni de carnages systématiques. Ni de tueries sanguinaires. Toutefois, manifester son désaccord dans la rue et exprimer des opinions contraires au régime représentent des actes punis par les autorités. Pour Cuba, les droits civils et politiques, connais pas. Ou si peu.

«Malgré le respect indéniable des droits socioéconomiques comme l’accès pour tous à la santé et à l’éducation, le gouvernement restreint des droits, comme la liberté d’expression, par différentes lois destinées à protéger le régime», affirme Jean-Daniel Lafond, cinéaste qui a réalisé en 1999 le documentaire L’Heure de Cuba. En fait, toute personne qui s’exprime un tant soit peu contre le gouvernement risque d’être considérée comme un ennemi de l’État. Désordre public, incitation à la délinquance, actes contre la sécurité de l’État: autant d’accusations qui peuvent être portées contre ces personnes jugées «dissidentes» par les autorités politiques de l’île. Une situation qui perdure depuis belle lurette.

Répression sournoise
Ramon Colas Castillo a connu la répression du régime castriste. Réputé pour critiquer pacifiquement le gouvernement, ce Cubain a décidé d’ouvrir les portes d’une petite librairie indépendante l’année dernière. Une grossière erreur. Lorsque les autorités cubaines ont eu vent de la nouvelle, Castillo, sa femme et ses deux enfants ont été évincés de leur maison par la police. Le chef d’accusation? Distribution de propagande ennemie. Un argument peu fondé qui leur a pourtant valu une détention temporaire. Durant ce séjour en prison, les autorités cubaines ont accumulé des fausses preuves contre Castillo et «prouvé» qu’l occupait sa maison illégalement depuis treize ans (!). Dépossédés de leurs biens, Castillo et sa famille ont été envoyés dans un camp militaire, question de les «réhabiliter».

Cette histoire, qui frise la parodie de justice, fait partie des exemples fournis par Amnistie internationale et Human Rights Watch pour démontrer le type de répression dont sont victimes les Cubains qui veulent affirmer ouvertement leurs opinions – en particulier les journalistes. «Ils sont radicalement contrôlés, censurés ou arrêtés s’ils ne font pas partie des organes officiels», indique Jean-Daniel Lafond.

Pour les autorités cubaines, la critique, même pacifique, n’est pas tolérée. Alberto Alvarez le sait trop bien. Cet exilé cubain de quarante-six ans, maintenant citoyen canadien et étudiant à la maîtrise à l’Université de Montréal, est arrivé au Canada il y a cinq ans. Ce professeur universitaire a quitté son pays natal pour des raisons politiques. «Si tu manifestes une opinion qui n’est pas en droite ligne avec celle du président Fidel Castro, tu risques d’être arrêté, explique-t-il. Moi, j’ai décidé de ne pas accepter cette conception de l’État.»

D’après Alberto Alvarez et Anne Sainte-Marie, responsable des communications chez Amnistie internationale (section canadienne francophone), la répression cubaine s’est transformée. Au lieu d’attribuer de longues peines d’emprisonnement comme dans le passé, le gouvernement cubain a maintenant recours à des punitions en apparence plus légères, mais bien plus sournoises: détention arbitraire de courte durée, menaces, éviction du logement, perquisitions, perte d’emploi, assignation à résidence, écoute téléphonique. «Les autorités cubaines commettent aussi différentes agressions physiques et verbales, souligne Anne Sainte-Marie. De plus, il existe toujours trois cents prisonniers d’opinion. Cuba les accuse souvent de charges criminelles alors que la vraie raison est la volonté de les faire taire.»

L’union ne fait pas la force
Au Canada, u groupe aussi farfelu que la Coalition des fonctionnaires chauves amateurs de pêche à la truite pourrait exister, en raison du respect de la liberté d’association. À Cuba, ce droit est parfois bafoué. «Il n’existe pas de partis politiques indépendants viables, pas d’organisations indépendantes reconnues ni de syndicats indépendants, affirme Anne Sainte-Marie. Tout est mené par le parti unique au pouvoir, le Parti communiste cubain.» Alberto Alvarez en donne un exemple: «Lors d’un rassemblement de quartier, j’ai vu des personnes se faire frapper sur la tête avec des marteaux par la police pour s’être réunies, avoir organisé une manifestation et affirmé des idées qui n’étaient pas en faveur du gouvernement.»

Bien braves, donc, les groupes minoritaires qui osent faire entendre leur voix. Surtout les homosexuels. «Il existe deux problèmes majeurs, précise Roberto Jovel, membre du Réseau de soutien des droits des gais et des lesbiennes d’Amnistie internationale. Tout d’abord, il ne peut exister de groupes gais à Cuba. Par exemple, en 1994, des gens ont fondé une association de gais et lesbiennes. En 1997, il y a eu une répression sévère, ce qui a entraîné la fermeture de l’association. De plus, l’article 303 du code pénal prévoit des peines de trois mois à un an de prison pour les personnes qui expriment publiquement leur homosexualité. Donc, les autorités procèdent à des descentes arbitraires dans des lieux de rencontre, distribuent des amendes et font des arrestations.»

Lorsque manifestants, homosexuels et journalistes font face à la machine judiciaire cubaine, ils sont confrontés à un engrenage qui contient beaucoup de grains de sable. «Le système judiciaire n’est pas indépendant, indique Anne Sainte-Marie. Il est donc partial à certains moments. Aussi, les autorités peuvent parfois forcer des gens à avouer des crimes qu’ils n’ont pas commis ou forger de toutes pièces un procès pour trafic de drogue afin de se débarrasser d’opposants politiques.» C’est sans compter le fait que Cuba, comme les Éats-Unis, possède dans son arsenal judiciaire la peine de mort. Selon Human Rights Watch, au moins douze personnes ont été exécutées en 1999 à Cuba.

Critique internationale
La communauté internationale ne manque pas de dénoncer les violations commises par Cuba. Dans une résolution adoptée le 18 avril dernier, la Commission des droits de l’homme des Nations unies s’est dite «préoccupée» par les infractions continues aux règles internationales concernant les droits de la personne, et demande au gouvernement cubain de coopérer avec elle en vue du respect de ces droits.

Le 23 avril 1999, la Commission avait adopté une autre résolution réclamant du gouvernement la libération de «toutes les personnes détenues ou emprisonnées pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions politiques, religieuses et sociales». Elle invitait aussi le gouvernement à «assurer le respect des droits de la personne et des libertés fondamentales». «Le problème, c’est que Cuba refuse généralement de collaborer, affirme Anne Sainte-Marie. Donc, les violations continuent à avoir lieu malgré les résolutions.»

De son côté, Cuba se dit prêt à coopérer, mais dénonce ces résolutions. «Les principes internationaux sont toujours dirigés contre Cuba pour le compte des États-Unis», réplique Camilo Garcia, second secrétaire à l’ambassade de Cuba à Ottawa. «Cette réplique est constante, souligne Anne Sainte-Marie. Cuba croit que les Nations unies travaillent pour les États-Unis, alors qu’elles dénoncent sans relâche l’embargo américain contre l’île. Comment peut-on régler la question des droits de la personne devant une telle impasse?»