Les raéliens et la génétique : Clonez mon âme
Société

Les raéliens et la génétique : Clonez mon âme

Alors que des voix s’élèvent contre les périls liés au clonage humain, les raéliens, eux, ne s’embarrassent pas de considérations éthiques. Ils soutiennent posséder l’expertise nécessaire et veulent aller de l’avant sans plus tarder dans cette grande aventure. C’est qu’ils souhaitent le salut de nos âmes, mais à quel prix?

Le clonage de la brebis Dolly en février 1997 par Ian Wilmut et Keith Campbell, du Roslin Institute d’Édimbourg en Écosse, prit la forme d’une révélation pour Raël. Un mois plus tard, il lançait Clonaid, de la compagnie Vaillant Venture ltd. Aujourd’hui, pour la rondelette somme de 200 000 dollars US, tous les gens qui le désirent pourraient obtenir son assistance afin d’avoir un enfant étant leur reproduction parfaite. Pour les moins fortunés mais néanmoins angoissés, Insuraclone offrirait, pour 50 000 dollars US, le stockage de cellules afin de se faire cloner après sa mort, et la demande serait forte.

Reconnaissons d’emblée qu’à défaut d’avoir fait la preuve de leur expertise en matière de génie génétique, les raéliens démontrent d’ores et déjà un esprit d’entreprise des plus dynamiques… Il faut dire que Raël n’est pas le premier venu, et loin de là. Tous connaissent les grandes lignes de son époustouflant curriculum, en commençant par l’histoire de sa rencontre avec les Élohims en 1973, ces as de la génétique qui auraient implanté la vie sur terre. Lui-même un des plus beaux fleurons de cette science en pleine effervescence ici-bas, ne serait qu’à moitié humain, ayant le même géniteur extraterrestre que son demi-frère et grand disparu… Jésus.

Clonage et vie éternelle
La personne de confiance de Raël et directrice scientifique de Clonaid, Brigitte Boisselier, est docteure en chimie. Elle est assistée par un généticien, un biologiste et un médecin. L’équipe travaillerait dans un laboratoire secret situé dans un État américain qu’elle n’a pas voulu identifier. Dans l’immédiat, les raéliens veulent cloner un bébé mort à 10 mois d’une erreur médicale et dont les parents américains auraient donné 500 000 dollars pour le voir renaître. En entrevue, où elle empruntait un ton souvent laconique, madame Boisselier ridiculisait les arguments de ceux s’inquiétant du phénomène. Pour elle, les problèmes éthiques ne se posent pas.

"Le clonage, c’est la possibilité de recréer un humain à partir d’une cellule, cela est un droit fondamental de chaque individu qui est maître de ses gênes, chacun devrait ainsi avoir le droit de se reproduire. Notre but ultime, c’est la vie éternelle par le transfert de la mémoire. Interdire le clonage, c’est primitif et c’est l’establishment qui s’y oppose. D’ailleurs, j’ai beaucoup d’appui de scientifiques dans l’ombre."

Pour l’essentiel, le clonage consiste à prélever le noyau d’une cellule renfermant le code génétique d’un individu, pour l’introduire ensuite à l’intérieur d’un ovule vidé de son noyau, de son propre code génétique. En pratique, ce n’est pas si simple. Avant de réussir à cloner Dolly, Wilmut et Campbell ont échoué 226 fois et ont admis avoir créé des monstres. Il a aussi fallu 1 000 fusions de cellules de glandes mammaires et d’ovules. Seulement 29 brebis ont commencé à se développer pour, en bout de ligne, une seule réussite.

Globalement, des statistiques sur le clonage animal portant sur des souris, des cochons ou des brebis témoignent que seulement 1 embryon sur 100 environ est viable. Dans 50 % des cas, le stade embryonnal n’est même pas atteint. Il y aurait de nombreuses fausses couches, plusieurs nouveau-nés mourraient dans les minutes suivant leur naissance de problèmes immunologiques, cardiaques ou respiratoires. Mais madame Boisselier soutient que le clonage animal a "beaucoup progressé" depuis Dolly et que "les plus récentes tentatives ont donné des rejetons parfaits". Et vos propres essais? "En ce moment nous calibrons, nos essais sur des animaux sont concluants. Nous prévoyons commencer nos essais humains vers la fin janvier", dit-elle sans vouloir donner plus de précisions.

Au sujet des mères porteuses, notre interlocutrice soutient que plus de 50 femmes de par le monde se sont portées volontaires. Quel serait l’impact d’une réussite pour le mouvement? "Je ne sais pas. Vous savez, il n’y a qu’un lien philosophique entre les raéliens et Clonaid, que je dirige", affirme-t-elle toujours aussi avare de ses mots. Pourtant voici ce que déclarait Raël il y quelques années à ce propos. "Après quelques mois, lorsque l’enfant sera capable de décocher des sourires irrésistibles, une conférence de presse aura lieu, le choc médiatique sera colossal et l’avancement de notre mouvement vers une reconnaissance mondiale définitif."

Les monstres
Au-delà du côté loufoque que peut prendre le discours raélien, un clonage humain réussi à la marge, au moyen de fonds privés et dans un État où il n’existe pas de législation l’interdisant, pourrait avoir des conséquences imprévisibles. Déjà en 1998 à Séoul en Corée du Sud, le docteur Lee Boyeon annonçait qu’il avait réussi à cloner un embryon humain qu’il détruisit lorsqu’il eut atteint le stade de quatre cellules, invoquant des questions éthiques. Aussi, les raéliens ont des compétiteurs ayant une vision tout aussi simpliste et euphorique du clonage humain. Le physicien américain Richard Seed déclarait devant la Société royale de Londres en mars 1999: "Cloning is just making cute little babies. I’m racing to make the first human clone, I want the fame, I’ll give you the fortune, I want the fame."

Selon Louise Vandelac, professeure titulaire au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal et coréalisatrice du documentaire de l’ONF, Clonage ou l’Art de se faire doubler, de sérieux problèmes éthiques et sociaux se profilent à l’horizon. "Le clonage humain est une fabuleuse régression de l’évolution qui signe en fait notre sortie de l’humanité. Les humains sont conçus dans l’altérité, au coeur de la différence des sexes et des générations. Ce sont des repères de sens qui nous permettent de nous constituer psychiquement et socialement. Or, le clonage, incarnation des fantasmes d’immortalité et d’autoreproduction narcissique, fait tout imploser. Il évacue les sexes, la sexualité et l’altérité. Il dénoue les alliances du féminin et du masculin et il emmêle inextricablement l’ordre des générations, transformant le clone du père en fils et petit-fils de sa grand-mère, en fils et mari de sa mère, en fils et jumeau de son père… Nous laissons ainsi à certains le pouvoir exorbitant de transformer, de remodeler des humains en fonction d’enjeux financiers et fantasmatiques, ouvrant de redoutables horizons eugéniques."

Le Parlement britannique entérinait à forte majorité, le 19 décembre dernier, une loi autorisant le clonage à des fins thérapeutiques. Quelles nuances peut-on faire avec le clonage reproductif? "L’expression clonage thérapeutique est une pure imposture, dit madame Vandelac. Transformer un embryon en vivier industriel et en rat de laboratoire n’est guère une thérapie pour cet embryon… Quant à l’éventuelle possibilité de produire des tissus et des organes issus de clones d’embryons, l’enrobage thérapeutique abusif permet surtout de publiciser ces recherches pour les financer, tout en taisant les alternatives et en endormant les consciences. Il faut vraiment être dopé aux vapeurs du marché pour ainsi créer de nouvelles filières infrahumaines à visées instrumentales et économiques, abandonnant sans conscience cette fragilité embryonnaire dont nous sommes tous issus."

Qu’est-ce qui motive réellement les raéliens et les autres entreprises qui veulent cloner un humain? "Je ne ferai pas de psychanalyse sauvage sur ces élucubrations, mais je constate manifestement qu’ils sont en affaires." Les probabilités et les conséquences d’un clonage réussi à la marge? "Comme le souligne le généticien Axel Khan, ce ne sont pas des impossibilités techniques qui empêcheront le clonage humain, d’ailleurs plusieurs cliniques américaines s’y préparent. Devant cette imminence, le laxisme de nos États est impardonnable. Il est plus qu’urgent d’interdire formellement, à l’échelle internationale, tout clonage humain."

eugénisme gentil
Le clonage humain ne représente en réalité qu’un des enjeux de la révolution génétique qui s’amorce. Après les siècles de la physique et de la chimie, le XXIe sera à coup sûr celui de la biologie. Si certains fondent beaucoup d’espoir sur le dépistage in utero de maladies graves, se profile néanmoins le spectre d’un eugénisme nouvelle vague, "gentil et feutré", pour paraphraser Jeremy Rifkin. Banal et commercial, il n’aurait rien à voir avec la répression de l’État nazi, mais on risque de ne pas en percevoir les limites. On ferait cette fois, subtilement, appel à des individus-consommateurs visant l’amélioration du "produit humain" de leur plein gré. Ne voulez-vous pas d’un bébé en bonne santé… beau et intelligent?

Et si l’enthousiasme effréné des uns épris de scientisme peut faire frémir, rien ne garantit en revanche que les mises en garde des autres quant aux dérives potentielles du génie génétique réussiront à limiter les travaux entrepris. Les enjeux commerciaux et les prouesses techno-scientifiques à réaliser risquent de peser très lourd pour plusieurs n’étant pas troubler dans leur sommeil par les questions éthiques. Un débat élargi sur ces questions est donc impératif.

Liens sur Raël:

Site officiel de Raël
Liens sur le clonage (anglais)
Clonaid (la compagnie de Raël)
Human Cloning Foundation
Texte sur le cloning (de la revue Scientific American)
Liens sur le clonage (francais)