Société

Légendes urbaines : Thérapie de groupe

Qu’elles soient stupéfiantes, étranges ou terrifiantes, les légendes urbaines se présentent comme l’incarnation moderne des contes et légendes d’autrefois. Jamais entièrement vérifiables, teintées d’ambiguïté, on les dit le plus souvent fausses, mais peut-on être vraiment rassuré?

"La légende urbaine ou contemporaine est un énoncé non confirmé, plausible, mais farfelu, qui se modifie au gré des relais et dont les sources sont anonymes et non vérifiables. Elle se fonde sur le doute, essentiel à sa diffusion, qui amène les gens à se dire: "Et si c’était vrai?"", assure l’ethnologue Martine Roberge, qui a rédigé un mémoire de maîtrise sur le sujet et qui dispense également le cours Contes et légendes de l’Amérique française à l’Université Laval.

Les nouvelles peurs
Le besoin de raconter, de stimuler l’imaginaire, combiné à celui d’exorciser les grandes peurs collectives pour mieux les sublimer, a toujours existé et contribue à alimenter le phénomène, poursuit notre interlocutrice. "Autrefois, on parlait des loups-garous, des feux follets, des revenants et du diable [la légende de la chasse-galerie]. Aujourd’hui et avec les progrès de la science, le surnaturel est moins présent. Mais il y a cette légende qui persiste de l’auto-stoppeur fantôme, visible peu après l’Étape, dans le parc des Laurentides. Ce serait en fait le spectre d’une personne décédée tragiquement dans un accident d’auto à cet endroit."

De nos jours, les techno-peurs, liées aux OGM par exemple, sont de plus en plus présentes. L’arrivée des fours à micro-ondes au début des années 1980 a ouvert le bal et donné lieu aux récits d’horreur portant sur des animaux qu’on aurait fait "sécher" dans ces appareils. "Les compagnies ont même cru bon d’émettre des mises en garde à ce propos", précise Mme Roberge. "De façon générale, tout ce qui a trait à l’alimentation ou à l’aliment piégé est propice aux légendes. Ainsi, il n’est pas impossible qu’on ait déjà servi du chat dans certains restaurants chinois, mais cela suffit à stéréotyper tous les restaurants du même type."

Il y aurait pire. Et les amateurs de boissons gazeuses devraient lire très attentivement ce qui suit: on raconte que des gens sont morts d’une étrange maladie, la leptospirose, après avoir consommé leur cola favori. "On prétend que des canettes sont conservées dans des endroits douteux et que des rats viennent uriner dessus; en séchant, l’urine dégagerait une substance hautement toxique. Il serait fortement conseillé de ne jamais boire à même la canette."

"Les seringues infectées par le VIH sur les bancs de cinéma et autres lieux publics ou encore des infirmiers qui injecteraient volontairement le virus aux patients, sont aussi des légendes urbaines que l’on entend parfois. Peut-être cela symbolise-t-il notre peur de ce mal", continue Mme Roberge.

Légendes éternelles
Si les pompiers new-yorkais ont vécu l’enfer l’an dernier, la profession d’éboueur dans la métropole américaine ne serait pas de tout repos non plus depuis que les égouts seraient infestés… d’alligators albinos! "Dans ce cas-ci, des touristes de retour de Floride auraient ramené des bébés alligators qu’ils auraient balancés aux égouts lorsque ceux-ci seraient devenus trop gros; rendant le travail des éboueurs très dangereux."

Et que penser de ces gangs de jeunes, circulant sur nos routes à la tombée de la nuit, tous feux éteints, qui ne tolèrent aucun appel de phares, sinon… "On avertit bien de les ignorer, car ceux-ci pourraient vous poursuivre pour vous faire sortir de la route et vous tuer. On dit même que des policiers auraient confirmé le phénomène."

Certaines légendes ont la vie dure, dont celle de la gardienne droguée qui aurait, dans son délire, confondu un bébé avec une dinde, le faisant cuire au four. "Dans les années 60, on disait que la gardienne avait pris du LSD. Puis dans les années 80, c’était plutôt du PCP." Autre temps, autre trip?

Mme Roberge ne s’essouffle pas et nous révèle qu’une des légendes urbaines les plus troublantes de nos jours a trait au vol d’organes. "La figure type est celle de la personne qui sort dans un bar et qui se réveille le lendemain dans un motel, en douleur, droguée et un rein en moins. Est-ce que la légende est vraie? Ce discours est certes un peu alarmiste, mais il est sûr que le trafic d’organes existe bel et bien."

Alors véridiques ou délirantes, les légendes urbaines? "Mon rôle n’est pas de déterminer cela, mais bien de tenter d’expliquer pourquoi elles existent et existeront toujours, ne serait-ce que pour nommer nos peurs", conclut Mme Roberge. Le mystère demeure entier…