Abolir les partis politiques : Un homme et son idée
Société

Abolir les partis politiques : Un homme et son idée

La démocratie peut-elle se passer des partis politiques? L’universitaire Jacques Lazure croit que oui. Même qu’elle s’en porterait mieux, selon lui…

Imaginez un Québec sans partis politiques. Des élections où les députés seraient élus pour leurs compétences personnelles. Il n’y aurait plus de "candidats bidon" utilisés comme pantins d’un parti, mais que des gens intéressés à défendre leurs idées. Imaginez un gouvernement débarrassé de ce chef qui a tout le loisir de choisir ses ministres et de nommer ses amis à la tête des sociétés d’État. Imaginez une Assemblée nationale où les députés d’arrière-ban n’existeraient plus. Vous savez, ceux dont la principale fonction consiste à applaudir à tout rompre chaque déclaration de leur chef, ces figurants condamnés à suivre aveuglément la "ligne du parti"? Imaginez enfin un gouvernement dans lequel les représentants du peuple ne seraient plus d’éternels opposants, mais des personnes sensées qui collaborent, de façon ouverte et sincère, au bien commun.

L’idée vient de Jacques Lazure. Il la développe dans son essai Abolir les partis politiques (Libre pensée). Plus qu’une critique lucide du système politique actuel, Lazure soumet un projet de société.

L’homme n’est pas né de la dernière pluie. Ce retraité de 77 ans a été professeur de sociologie dans différentes universités pendant 44 ans, dont 28 à l’UQÀM. Ancien prêtre qui rejette aujourd’hui toutes les religions, il a fait sa maîtrise à Notre-Dame (Indiana) et son doctorat à Harvard. Avant-gardiste, il rêvait d’un Québec souverain dès 1957, 11 ans avant la fondation du Parti québécois.

L’idée d’abolir les partis politiques lui a sauté au visage vers la fin des années 70. "À l’époque, j’en avais parlé à des collègues et à des amis, dit-il en entrevue. Mais je me suis vite rendu compte qu’il aurait été prématuré de lancer l’idée publiquement." Le timing n’était pas bon: le PQ venait de s’installer au pouvoir, l’effervescence politique atteignait des sommets et René Lévesque ne nous avait pas encore dit "à la prochaine fois"… Dans un tel contexte, prôner la suppression des partis politiques aurait été un brin suicidaire.

Un quart de siècle plus tard, ce n’est plus le cas. "Vu l’écoeurement général des Québécois envers les politiciens, surtout après le scandale des commandites, soutient Jacques Lazure, j’ai pensé qu’il était temps de mettre l’idée sur la table."

Pour l’ancien professeur, les partis politiques n’ont cependant pas que de mauvais côtés. En fait, ils ont été utiles dans l’histoire de la démocratie en permettant d’éradiquer les dictatures des partis uniques. Sauf que la démocratie est un travail. Et pour Lazure, les partis ont fait leur temps.

DES RATÉS

Dans son essai, Jacques Lazure énumère ce qu’il considère comme des ratés des partis politiques. "Le vice le plus fondamental, dit-il, c’est la quête du pouvoir." C’est qu’un parti, par nature, doit avant tout accéder au pouvoir pour gouverner. C’est son objectif numéro un. Ensuite seulement, on travaillera au bien commun. Or, pour aspirer au pouvoir, il faut faire élire des députés. "C’est le nombre qui prime, pas la qualité", dit l’auteur. Plus de députés, plus de pouvoir. Point à la ligne. Voilà pourquoi les partis investissent autant d’efforts (et de moyens) à dorer leur image et à organiser des campagnes électorales coûteuses. Du coup, les idées sont bien moins importantes que les stratégies électoralistes.

Mentionnons aussi que dans un système doté de partis politiques, la gouverne se fait "dans un climat de guerre". Les partis de l’opposition ont immanquablement l’opinion contraire du parti au pouvoir, et vice-versa. S’ensuit un spectacle de gueulards à l’Assemblée nationale; tristes combats de coqs qui ne font nullement honneur à une société dite évoluée. "Il est possible de collaborer, de se parler pour arriver à un compromis honnête sur une question. Sauf que pour l’instant, à cause de l’existence des partis politiques, c’est la guerre structurelle permanente", dit Jacques Lazure.

PLUS PRÈS DE LA DÉMOCRATIE

Un gouvernement sans partis serait plus démocratique, selon Lazure. Dans le projet qu’il propose, les candidats se présenteraient à une élection en fonction de leurs mérites personnels, et sur une base individuelle. Ils ne pourraient en aucun cas faire partie d’une organisation ou d’un mouvement. D’autre part, les campagnes électorales se feraient à l’échelle de chaque comté. Les dépenses électorales des candidats seraient défrayées par l’État, qui donnerait à chacun le même montant. Ainsi, tous s’affronteraient à armes égales.

Les députés devraient être élus à majorité simple, après deux tours de scrutin s’il le faut. Une fois au gouvernement, ils auraient à travailler ensemble pour faire avancer des projets, et ce, sans avoir à se rallier à une ligne de parti. Ils pourraient agir selon leurs convictions. Tantôt certains députés se regrouperaient autour d’une position qu’ils partagent, tantôt ils s’opposeraient sur des divergences de points de vue. Ce genre de système miserait avant tout sur un choc des idées. "On reproduirait dans une société moderne l’agora de la Grèce antique, qui a tant contribué à l’avènement de la démocratie dans le monde", écrit Jacques Lazure.

Seul un Québec souverain pourrait inscrire à sa première Constitution l’abolition des partis politiques, croit Jacques Lazure. Concrétiser une telle idée à l’échelle canadienne lui apparaît irréalisable. Il ne se fait toutefois pas d’illusions. L’auteur sait fort bien qu’il partira avant les partis politiques… Il est aussi conscient que ce ne sera pas demain la veille qu’un grand parti endossera une idée semblable. C’est leur existence qui est remise en question, après tout!

Cependant, vu le degré de cynisme de la population envers la chose politique, il faudra peut-être réfléchir au fonctionnement de ce système vieux de plus de 200 ans. Jacques Lazure a semé son idée. Reste à voir si elle saura germer…

Abolir les partis politiques
De Jacques Lazure
Éditions Libre pensée, 167 pages.