Robert Comeau : Vive la liberté, vive l'indépendance!
Livres

Robert Comeau : Vive la liberté, vive l’indépendance!

Aux éditions VLB, Robert Comeau publie le premier tome de son Histoire intellectuelle de l’indépendantisme québécois, en codirection avec Denis Monière et Charles-Philippe Courtois. Parce que l’indépendantisme a plusieurs visages.

Voir: Mathieu Bock-Côté écrit dans votre ouvrage que trop d’indépendantistes contemporains ont une vision tronquée de l’histoire et croient que le projet d’indépendance québécois commence en 1960. Ce livre est-il une entreprise de rétablissement des faits?

Robert Comeau: "Bock-Côté exagère un peu, mais il reste que les indépendantistes québécois d’aujourd’hui cherchent rarement à mettre en valeur les indépendantistes conservateurs des années 1930, par exemple. Notre objectif était de montrer que les racines de l’indépendantisme sont bien plus lointaines qu’on ne le croit généralement – elles prennent d’ailleurs source dans la pensée des Patriotes dont le nationalisme n’était ni ethnique ni conservateur mais nourri d’un idéal de justice et de démocratie. Ils ne se battaient pas nécessairement pour la langue et valorisaient même un État bilingue dans lequel l’amour de la patrie est la seule condition d’appartenance à la nation. L’idée, c’est de voir comment l’argumentaire s’est transformé au fil du temps. On a réuni des historiens de différentes tendances qui ont étudié les textes de plusieurs intellectuels engagés dans le combat entre 1834 et 1968. Le deuxième tome commencera donc avec la naissance du Parti Québécois."

Votre ouvrage montre que la tension entre le nationalisme civique et le nationalisme ethnique traverse toute l’histoire intellectuelle de l’indépendantisme québécois.

"En effet, le nationalisme dit "ethnique", qui s’articule autour de la défense du fait français et du catholicisme, commence à apparaître avec des gens comme Jules-Paul Tardivel en 1895, qui veulent faire du Bas-Canada une république catholique centrée sur l’identité canadienne-française traditionnelle, et franchement raciste selon les standards actuels. Aujourd’hui, les Gérard Bouchard de ce monde valorisent un nationalisme "pluraliste", mais il ne faudrait pas croire qu’il ne reste plus de traces du passé conservateur dans l’indépendantisme actuel. Les idées de Tardivel ont été récupérées, mais transformées et affinées par les indépendantistes des années 1930, avec qui René Lévesque, par exemple, a été en contact pendant sa jeunesse. C’est de là que lui vient probablement l’idée de la souveraineté-association, inspirée du concept d’État-nation popularisé par le journal La Nation en 1938. Lévesque s’est débarrassé de l’aspect réactionnaire, mais il en a conservé les fondements démocratiques et identitaires. Notre ouvrage veut mettre en lumière ce genre de filiations."

Vous ne cherchez d’ailleurs pas à diaboliser Lionel Groulx, accusé par certains historiens de racisme et d’antisémitisme, et préférez identifier chez lui les idées qui ont perduré et sont devenues progressistes, comme l’interventionnisme de l’État.

"Groulx, pendant la période où il fut actif, était avant-gardiste parce qu’il valorisait l’idée de l’affirmation de l’État. Dans une société alors anti-étatiste, il n’hésitait pas à proposer que l’État prenne le contrôle des ressources naturelles, jusqu’à évoquer la nationalisation de l’hydroélectricité."

Dans l’un des textes que vous signez, vous semblez vouloir lever le voile sur une génération de nationalistes "corporatistes", c’est-à-dire d’extrême droite, comme Paul Bouchard. Quelle fut leur influence?

"C’est un mouvement actif surtout en 1936-37, qui a influencé par la suite l’historien Maurice Séguin. Personne n’ose se réclamer d’eux parce qu’ils étaient fascistes et cherchaient surtout à développer une bourgeoisie canadienne-française puissante. Mais ils étaient aussi de virulents critiques du fédéralisme dont les arguments furent maintes fois repris par la suite par des progressistes."

Histoire intellectuelle de l’indépendantisme québécois. Tome 1. 1834-1968
Dirigé par Robert Comeau, Charles-Philippe Courtois et Denis Monière
VLB éditeur, 2010, 286 p.

Histoire intellectuelle de l'indépendantisme québécois. Tome 1. 1834-1968
Histoire intellectuelle de l’indépendantisme québécois. Tome 1. 1834-1968
Robert Comeau, Charles-Philippe Courtois et Denis Monière
VLB éditeur