Marie-France Bazzo, porte-parole de la Fondation pour l'alphabétisation : Les tu-seuls
Alphabétisation

Marie-France Bazzo, porte-parole de la Fondation pour l’alphabétisation : Les tu-seuls

Marie-France Bazzo, porte-parole de la Fondation pour l’alphabétisation, nous parle en ses mots, colorés, des effarantes statistiques rendant compte de l’analphabétisme au Québec. Nous avons aussi discuté avec Maryse Perreault, directrice générale de la Fondation, qui a fait de cette cause le combat de sa vie.

"Vous trouvez que l’éducation coûte cher? Essayez l’ignorance."
Abraham Lincoln

Ils sont là, autour de nous. Aucun signe distinctif. Vieux, jeunes, immigrants, mères de famille, ouvriers se rendant au travail au volant de leur pick-up. Ils sont NOUS. Parce que 49% d’analphabètes complets et fonctionnels de niveau 2, au Québec, c’est presque une personne sur deux. Et comme il n’y a pas de réserves d’analphabètes sur le territoire, ils sont parmi nous…

Boutte pédagogique. Niveau 1: ne peut juste pas lire. Point. 16% de la population totale des 16 à 65 ans. Pas des ancêtres édentés ou des immigrants; des jeunes, des hommes, des femmes, des "nous-autres".

Niveau 2: arrive difficilement à lire et à résumer un texte simple. Un premier paragraphe du Journal de Montréal, lentement. Vous direz: c’est pas grave de ne pas lire le Journal. Ouin. Sauf que si tu n’y arrives pas, t’es pas non plus capable de lire les consignes de l’école, tu ne vas donc pas aux réunions de parents, tu ne peux pas aider ton enfant à faire ses devoirs, tu caches ça sous du désintérêt, et quand le kid montre des velléités de décrochage, t’es mal placé pour le retenir en secondaire 4.

Niveau 1 et 2: ils sont nombreux, se sentent seuls, ont honte. Niveau 3: celui nécessaire pour fonctionner dans notre société de plus en plus exigeante en compétences.

Ils sont donc 49%, isolés, des tu-seuls. Or, s’ils étaient un parti politique, ils gagneraient toutes les élections, à plate couture. Nous ne voulons surtout pas voir cet éléphant au milieu de la pièce. Le Québec en arrache individuellement, mais est collectivement tiré vers le bas.

D’accord, le Québec n’est pas une exception. Dans la plupart des démocraties occidentales, y compris la France et les États-Unis, et sauf les fatigantes exceptions finlando-danoises, l’illettrisme flirte avec les 40-50%.

Nous ne sommes pas seuls: joie! Sauf que c’est ici que nous vivons: misère! C’est ICI qu’on DOIT trouver cela inacceptable. On peut blâmer les Autres: "C’est la faute des immigrants." Pffff… ils nous clenchent à l’école dès la deuxième génération. On se réconforte en se disant: "Oui, mais on revient de loin." Justement, 50 ans de système scolaire gratuit et obligatoire devraient avoir fait de nous, petites-filles et petits-fils de parents retirés de l’école de rang en 9e année, de furieux militants du Savoir. Pourtant non.

L’éducation n’est pas une valeur dominante ici. On vit assez bien avec l’idée de ne pas terminer son secondaire. Peut-être est-ce à cause de notre système poqué à force de réformes toutes croches. Peut-être qu’on se dit que si c’est gratuit, ça ne vaut pas plus… Et si on ajoute au désespérant 49% le fait que le Québec est toujours champion international du décrochage scolaire et du taux de suicide, on finit par se dire qu’on aime pas trop ça, la vie et les outils favorisant sa réussite…

QUELLES CONSÉQUENCES?

D’abord, si on fait preuve de tant de myopie à cet égard, ça en dit long sur notre sagacité en général…

Ça fait de nous des gens mal outillés pour faire face aux défis d’un monde du travail de plus en plus complexe. Ça creuse le fossé entre les bien nantis et les démunis, y compris sur les réseaux sociaux. Ça fait de nous une société sensible aux beaux parleurs, aux illusionnistes, qui n’aiment ni la nuance, ni l’intellect. On tend à mieux comprendre lorsqu’on nous parle populiste. C’est tellement plus simple quand c’est noir ou blanc.

À l’heure où on sert le citoyen à toutes les sauces, où on veut faire de la politique autrement, ben la moitié desdits citoyens n’est pas au courant!

Ce 49% parle d’échec de transmission: de jeunes parents mal équipés pour donner le goût du dépassement à leurs enfants; de travailleurs démunis quand leur job est délocalisée vers d’autres analphabètes encore moins chers, en Inde… C’est comme si 49% du corps social était mutilé. Comment pouvons-nous tolérer cette douleur?

SOLUTIONS

L’admettre, d’abord. Voir n’est pas accepter. Dire que c’est insupportable, ne pas culpabiliser les victimes individuelles mais la société. Exiger des politiciens, TOUS, qu’ils fassent de sa diminution une priorité. Empêcher le plus possible les jeunes de décrocher, refuser qu’on coupe sauvagement les fonds des organismes qui se vouent à l’alphabétisation sur le terrain. Faire d’un objectif de 30%, mettons, un chantier national au moins égal au Plan Nord. Être créatif, "adopter" un analphabète…

L’avenir du Québec ne passe pas par la souveraineté. La vraie souveraineté, c’est de posséder tous ses outils. Et savoir lire est certainement un des plus importants.

Nous sommes déjà minoritaires comme peuple en Amérique du Nord. Comment pouvons-nous, en plus, être amputés de la moitié de nous-mêmes?

www.fondationalphabetisation.org
INFO-ALPHA (service d’aide, d’écoute et de référence en alphabétisation et en formation de base): 1 800 361-9142