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Camus (1913-1960)

Il disait à ses amis que selon lui, rien n'était plus absurde que de mourir dans un accident de voiture. C'est pourtant l'absurde fin que la vie lui réservait, le 4 janvier 1960.

50 ans plus tard, Albert Camus fascine toujours. Tandis que certains résument son œuvre (qui compte romans, essais, nouvelles, pièces de théâtre) à deux ou trois titres majeurs, jugeant le reste un peu laborieux ou encore d'une morale facile, d'autres n'hésitent pas à voir le Prix Nobel de littérature 1957 comme l'un des principaux créateurs du XXe siècle. Chose certaine, on le lit encore beaucoup et dans toutes les langues.

Pour mieux comprendre et l'homme et l'œuvre, mais aussi l'exigence qu'il s'était imposée d'accorder les deux, je recommande l'incontournable Albert Camus, une vie, la biographie qu'Olivier Todd lui consacrait en 1996. Vivante autant que fouillée, critique autant qu'éprise de son sujet, elle montre bien les ambitions et les paradoxes d'un intellectuel jamais coupé du monde. On y lit par exemple:

Charmeur et ombrageux, sincère et théâtral, humble et arrogant, Camus voulait qu'on l'aime. Il y parvint, souvent. Il souhaitait, bien sûr, être compris, mais il n'y réussit pas à la fin de sa vie. Il parla trop du bonheur pour être souvent heureux et serein. Il faut l'imaginer malheureux aussi, comme Sisyphe. Des souffrances et autant de déchirements que de séparations le marquèrent. Mais sans elles, aurions-nous La Chute?

Et plus loin:

Camus se voulait dramaturge. À mon sens, Caligula tient toujours la scène avec force, les autres pièces moins. Bon acteur, Camus? Je ne sais pas, ne l'ayant jamais vu en scène. Il fut peut-être satisfaisant en Dom Juan ou dans le rôle du Gouverneur des Possédés. À la télévision, il était faible. Dans le rôle d'Albert Camus, à l'écran, il me paraît emphatique.

Il se sentait avant tout artiste, «créateur de mythes, incertain d'aboutir» mais «assuré de ne pas être autre chose». Il n'a pas imaginé un univers comme Stendhal, Balzac, Dostoïevski, Tolstoï, Melville, Faulkner, Graham Greene, Primo Levi, Mishima, Mario Vargas Llosa… Mais ses deux meilleurs romans-récits ont le ton original et puissant des chefs-d'œuvre. Il rédigea vite L'Étranger et La Chute. Malgré les oukases de certains doctrinaires de la déconstruction et de l'intertextualité ou d'ouvriers de la jeune et vaillante génétique littéraire, comparant les différentes versions d'une œuvre, malgré toutes les exégèses, ces deux livres retiennent une part de secret – inexplicable -, comme tant d'œuvres profondes.

Albert Camus, une vie, d'Olivier Todd. Éd. Gallimard, 1996, 864 p.