Une fois que nous avons gravi l’escalier et que nous nous apprêtons à entrer dans le restaurant, une question se pose: la salle ou la terrasse? Pas besoin de s’interroger longtemps, avec le temps qu’il fait. En traversant la salle à manger, d’un luxe sans tapage, où deux clients mangent sans piper mot, l’oeil accroche au passage un grand miroir, puis un tableau de Luc Archambault. Et nous voilà soudain dans une profusion de verdure, sur l’une des plus belles terrasses de Québec, plantée d’arbres, d’arbustes et de parasols. Répartis en plusieurs groupes, une foule de touristes anglophones et volubiles en occupe la partie supérieure. Prompt au sourire, un personnel jeune et nombreux s’active. On nous installe en contrebas, près de la petite clôture surplombant l’avenue Sainte-Geneviève. À deux tables de nous, un couple parle à voix basse. D’autres tables dressées, dont une très longue, attendent les clients que nous verrons déferler par vagues au cours de la soirée. Il fait vacances. Un apéro s’imposerait, mais nous avons tellement faim et nous nous sentons tellement fatigués que nous risquons de nous endormir dès la première gorgée. Dommage qu’on ne nous serve pas d’emblée quelques amuse-gueule! Les menus d’été proposés sur la carte commencent par les poissons frais ± pavé de thon grillé, sauce catalane; aile de raie grenobloise; homard en feuillantine au beurre blanc; filet de vivaneau aux épices de l’Inde et compote de mangue, truite saumonée, pétoncles, etc. Mon invitée et moi nous rendons ainsi jusqu’à la dernière page, puis nous reprenons depuis le début. Entrées froides, entrées chaudes… salade de lapin aux tomates séchées, foie gras en terrine, noix de ris de veau caramélisés au miel, tempura de crevettes, chaud-froid de saumon au beurre blanc… Une serveuse s’arrête à notre table. Non, nous ne sommes pas encore prêts, mais mon invitée en profite pour savoir ce qu’est la soupe du jour. Nous revenons ensuite, non pas à nos moutons, mais aux viandes diverses (veau, caribou, agneau, entrecôte et fiet mignon de boeuf), à la volaille (canard, cailles, poulet), aux poissons et fruits de mer. Et que dire du débat qui nous occupe pendant 10 bonnes minutes au sujet des menus «gourmet» et «dégustation»! Des borborygmes discrets nous rappellent à l’ordre. La carte des vins, intelligente et prolixe, nous fait elle aussi rêver un instant. On se sent tellement vulnérable quand l’estomac est aux abois! Nous nous contentons de deux verres de vin blanc, un Barton & Guestier pour mon invitée et, pour moi, un Chardonnay Laroche. Copieuse et de bon goût, l’entrée qui m’est servie répond à mes attentes: sept raviolis de canard, frits et bien assaisonnés, accompagnés d’une sauce à base de sésame et d’orange amère. Cela évoque un peu la cuisine asiatique. Rien n’y est de trop, même pas ces bouchées plus relevées qui surprennent quand on s’y attend le moins. Le temps de regarder passer une calèche et déambuler quelques promeneurs, on nous amène nos soupes, soit, pour mon invitée, un agréable potage rouge clair aux tomates séchées, semoule et fenouil. La mienne, vert tendre et délicatement parfumée, est à l’ail. Elle n’a rien d’agressif, comme on aurait pu le craindre. D’autres passants, une voiture ancienne, deux autres calèches, et nous voici aux plats de résistance. Des deux côtés de la table, un même soupir de satisfaction… que nous répéterons à satiété – c’est le mot. Audacieuses, tout de même, ces «roulades» de porc farcies chacune d’un énorme pétoncle! Tout cela mouillé d’une sauce au whisky et au jus de carotte qui vous étonne, vous surprend et vous apprivoise. La garniture est composée de carottes entières, de champignons, de courgettes, et de pommes de terre bleues. Mon invitée, pour sa part, se laisse littéralement envoûter par une escalope de saumon au safran, accompagnée d’une julienne de poireaux, de chips de betterave et d’une sauce crémeuse blanche. Une véritable fête des sens qui me fait presque regretter de n’avoir pas moi-même choisi ce plat. Mais, puisque nous pratiquons le libre-échange, boucées de porc, de pétoncles et de saumon se croisent par-dessus nos verres maintenant presque vides. Au terme de si belles envolées, qui oserait dire non aux desserts, d’ailleurs fabuleux? Biscuits aux amandes et noisettes, chocolat fin et crème vanillée, c’est une «Marjolaine» qui fait les délices de ma compagne, tandis que je me régale d’une «poire Bastille», pochée, chocolatée et garnie d’une tige d’angélique confite.
Restaurant À la Bastille chez Bahüaud
47, avenue Sainte-Geneviève
Québec (Québec)
Tél.: (418) 692-2544
Menu du jour: 9,95 à 14,75 $
Tables d’hôte: 27,95 à 29,95 $
Menus «gourmet» et «dégustation»: 40 et 50 $
Souper pour deux (incluant taxes, boissons et service): 108,50 $