Restaurateurs… et viticulteurs
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Restaurateurs… et viticulteurs

Le métier de restaurateur, que l’on soit en avant ou en arrière des fourneaux, est bien différent de celui de viticulteur. Pourtant, l’aventure viticole attire de plus en plus ces passionnés de la bonne chère.

Il y a encore de cela quelques années, hormis quelques téméraires comme Alain Rochard, copropriétaire du restaurant montréalais Le Continental et associé au vignoble Le loup blanc, dans le Minervois français, les restaurateurs évoluaient dans un autre univers que celui des viticulteurs. Toutefois, est-il étonnant que la passion que certains nourrissent pour la gastronomie en général et pour le vin en particulier leur ait fait franchir le pas? Pour Carlos Ferreira, propriétaire du Ferreira Café et du F Bar, l’envie était là depuis longtemps, il ne manquait plus qu’un concours de circonstances favorables. «Mon instinct d’homme d’affaires me poussait naturellement dans cette direction, car en éliminant les intermédiaires, la rentabilité pouvait être au rendez-vous. Par contre, je savais pertinemment qu’on ne devient pas vigneron du jour au lendemain. Il faut trouver la bonne terre, le bon climat, le bon coût. Et il fallait que la propriété ait déjà accès à des infrastructures, car je ne comptais pas réaliser une énorme production.» Carlos Ferreira a donc pris son mal en patience, jusqu’à ce qu’il devienne acquéreur, en 2011, de terres dans la vallée du Douro inférieur. Les résultats ont par la suite été rapides, puisqu’il peut déjà proposer dans ses établissements cinq vins, dont un rosé et un mousseux. Quant à son produit principal, à savoir son vin rouge F Douro, il s’en produit tout de même 60 000 bouteilles annuellement, ce qui laisse présager une diffusion plus large. Néanmoins, en tant que restaurateur à la base, comment s’implique-t-il dans son vignoble? «Dans toutes les sphères, répond-il. Même si je ne suis pas quotidiennement sur place, je prends toutes les décisions avec l’œnologue, y compris celles concernant les dates des vendanges ou le choix des cépages.» Ainsi que pour l’assemblage de ses vins, qu’il veut légers, fruités et prêts à boire pour s’adapter au mieux aux goûts des Québécois. Bref, Carlos Ferreira, qui dispose déjà au Ferreira Café d’une des plus belles réserves de vins portugais au Canada, a su conjuguer flair, passion et expertise pour réaliser ce projet. 

Une histoire de famille

D’autres restaurateurs ont eux aussi décidé de produire leurs propres vins. Pour certains, ce n’était pas une surprise totale. Par exemple, Jérôme Ferrer, grand chef Relais & Châteaux et copropriétaire du groupe Ferrer, entretient depuis sa plus tendre enfance un rapport particulier avec les terres viticoles. Voici son histoire: «J’ai grandi dans un petit village des Corbières, Tournissan, où mon père était vigneron. La vigne faisait donc partie de notre quotidien jusqu’à ce que la France intègre l’Union européenne. À ce moment-là, on donnait aux agriculteurs des primes à l’arrachage des vignes dans certaines régions, dontla nôtre. Monpère nous a donc réunis, ma sœur et moi, pour nous demander si nous souhaitions reprendre le domaine familial. Lorsque nous lui avons dit non – l’appel de la cuisine était déjà là de mon côté –, il en a été soulagé, car il savait que la vie n’était pas facile pour les petits vignerons comme lui. Il a alors vendu6,5 hectaresde sa terre à un cousin, avant de faire arracher le reste. Je me souviendrai toujours de cette journée-là, car c’était la première fois que je voyais mon père pleurer.» Par la suite, Jérôme Ferrer est parti pour le Québec. En l’espace de deux ans, il a perdu sa conjointe et on lui a annoncé que son père souffrait de leucémie. «On s’est donc dit, avec ma sœur, qu’on allait remercier notre père de son vivant en rachetant ses terres à notre cousin. Dans ce domaine, que j’ai nommé La terre de mon père, nous avons produit cinq vins, dont j’ai bien sûr apporté des bouteilles à mon père, qui a de nouveau pleuré, mais de joie cette fois-ci en voyant que l’histoire de notre famille se poursuivait, en quelque sorte. Quant à moi, je suis heureux d’avoir pu poser ce geste avant son décès, il y a de cela un mois et demi.» Parmi ces vins figure d’ailleurs le Val Pas Rés (l’expression favorite du père de Jérôme Ferrer), un vin rouge dont le nom signifie dans le patois local «ça ne vaut rien». Il vaut néanmoins bien plus qu’on le pense, puisqu’on devrait le trouver sur les étals de la SAQ au printemps 2014. Comment le chef définit-il ses vins? «Je voulais que mes vins se réfèrent au terroir et qu’ils me ressemblent. Ils sont donc sans prétention, mais ils ont du caractère.»

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Vous désirez déguster ces vins hors des restaurants de Carlos Ferreira et de Jérôme Ferrer? C’est possible en importation privée! La seule contrainte est de les acheter à la caisse.

Vins de la gamme le F: agence Alivin, 4242, boulevard St-Laurent, suite 205Montréal, alivin.ca

Vins du domaine La terre de mon père: Importation AMG, 1227, rue de la Montagne, à Montréal, importation-amg.ca