Restos / Bars

Le Picardier : Mariage de déraison

Les mariages sont de drôles de transactions. Certains individus se complètent et se plaisent au point où on les croit inséparables. Les contrastes s’attirent? En cuisine, c’est la même chose. Prenez la tomate et le basilic. Ou le gingembre et le soja. Ou encore la pomme et la cannelle. Peu importe la recette, ils seront toujours compatibles, un «match» fait l’un pour l’autre. Ce sont des mariages parfaits. Les cuisines du monde foisonnent de ces couples bien assortis. Cela n’empêche pas les cuisiniers d’essayer de nouvelles combinaisons afin d’enrichir le répertoire. Au fond, c’est vrai, la cuisine est la dernière grande frontière à explorer. Mais, comme disait Ducasse, une recette, ça se travaille, ça se peaufine. C’est pourquoi il a besoin de mois d’essai avant de mettre un nouveau plat à son menu.

D’autre part, tout comme en amour, il y a en cuisine beaucoup de mariages qui «foirent». Vite. Dans la gastronomie globe-trotter (cette pratique de tout mêler), les mauvais mariages sont aussi répandus que les épices. Quand on associe des aliments, des aromates, des parfums qui se nuisent, c’est qu’on n’a pas retenu les leçons de ceux qui nous ont précédés.

C’est la réflexion que je me suis faite lors d’un repas dans un nouveau restaurant du Plateau appelé Picardier, du nom du chef, Francis Picard. Bien qu’au demeurant ce mignon bistro de quartier soit fort bien décoré et bien tenu, la cuisinefrôle pourtant la désastre. Et bien que l’ambiance toute contemporaine au décor un peu japonisant de noir et de vert lime crée une atmosphère intime et presque luxueuse, et en dépit du service courtois et efficace, les goûts sont mal maîtrisés, les plats, inutilement compliqués et débordants de saveurs tout à fait incompatibles. Le résultat: j’ai perdu l’appétit… l’espace de quelques heures. Une carte intrigante par ses associations masque trop souvent l’ineptie de ceux qui la composent. Tout le monde n’est pas Normand Laprise. Ainsi, l’entrée de foie d’oie «canadienne», une terrine de texture grumeleuse au goût ferrugineux, aurait été plus élégante sans la gelée au café avec laquelle on la servait. Des raviolis «verts» (aux pourtours racornis) étaient farcis de caribou de Nunavik, et servis sous une sauce épaisse au fort parfum de réglisse, bien que parfumée au fenouil. Je pouvais à peine en avaler tellement les saveurs étaient discordantes. Les potages, l’un aux champignons et au miso, un peu acide et sucré, l’autre un amalgame entre une purée de légumes et une purée de fruits, se montraient trop étranges pour être mangés. L’un avait même une couleur grise et un goût indéfinissable qui hésitait entre la carotte trop cuite dans le jus de pomme et le bleuet écrasé dans le bouillon de boeuf. Les pétoncles des Maritimes, des bêtes vraiment géantes et bien caramélisées, nous ont permis de nous détacher d’une salsa mi-sucrée flanqué d’une purée jaune carotte insipide, d’un riz sauvage réchauffé, mais encore froid au centre, d’un hachis de chou cuit avec un goût persistant de licorice?, de bok choy archicuit, et même de brocoli cru. Quant à la côte de veau, cuite au beurre et au goût de noisettes mais à la chair sèche, elle avait été découpée pour évoquer le lomito mexicain. Mais servie avec du guacamole et des haricots cornilles cuits dans une mixture amère contenant trop de céleri, et la singulière purée de carottes sans goût: ce plat reste un emprunt maladroit et un fiasco intégral.

Ça ne s’améliore pas côté desserts: un gâteau citronné trop sucré un peu cartonneux, nappé de sauces rose et rouge et de chocolat, du melon pas mûr et des bleuets. Et une mousse au chocolat au goût d’eau de toilette, abondamment parfumée. Quatre-vingts dollars pour deux repas, avec les taxes et le service, mais sans vin; ça fait cher pour un exercice raté d’alchimie alimentaire. Refaites vos classes, monsieur Picard.

Le Picardier
4354, avenue Christophe-Colomb
Tél.: (514) 596-2205

Amuse-gueule
Au début du siècle, on connaissait deux sortes de tomates dans le monde occidental: la petite et la grosse. En 1964, il y en avait déjà 61, et aujourd’hui, on parle de centaines de variétés dont les tomates manipulées génétiquement, ou encore carrées, afin qu’elle soient plus faciles à empaqueter. La tomate est devenue LE légume le plus consommé au monde et dans le plus grand nombre de cultures. Tous les pays la consomment avec plus ou moins de modération et certains, comme la Grèce, premier consommateur mondial par tête de pipe, en engloutissent plus de 70 kg par personne, par an. À titre de comparaison, en Italie, ce serait 38 kg. En France, 18 par personne, par année, et au Québec, juste un peu moins. La tomate est même devenue l’emblème d’un État américain: l’Ohio. Étrange, quand on sait la réputation sulfureuse qu’elle avait il y a tout juste 100 ans. En hommage à ce légume qui a changé le monde, Lyndsay et Patrick Mikanowski ont récemment publié un ouvrage sensationnel, Tomate (Éditions du Chêne), qui dresse avec une rigueur scientifique le portrait exhaustif de ce légume-fruit. En bonus, des recettes de 41 grands chefs, amoureux de la pomme d’or, entre autres Marc Meneau, Éric Fréchon, Ferran Adrià, Gualtiero Marchesi et même Pierre Hermé, le grand pâtissier.