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Guerre ou paix?

Guerre_et_paix

Il y a de ces scientifiques plus grands que nature qui influencent durablement la façon de voir le monde. Un de ces héros de la science est Lewis Fry Richardson, un mathématicien, météorologiste et psychologue britannique. Il fut le premier à imaginer la possibilité de produire des prédictions météorologiques par calcul à une époque où tous les calculs devaient être faits à la main.

N’étant pas facilement découragé, il tenta de prédire la météo six heures à l’avance. Un travail qui lui prit six semaines, alors qu’il était déployé dans le corps des ambulanciers pendant la Première Guerre mondiale.  Un mauvais traitement des incertitudes de mesure produisit un résultat impossible, ce qui ne l’empêcha pas de proposer la constitution d’une usine à prédire la météo employant pas moins de 64 000 calculateurs.

Lewis Fry Richardson
Lewis Fry Richardson

Cependant, né dans une famille de quakers, il était un ardent pacifiste. Cela le poussa à abandonner ses recherches en météorologie en raison des applications militaires potentielles. Il se concentra alors sur l’étude des conflits armés. Richardson compila alors toutes les données disponibles sur les statistiques de conflits armés. En utilisant des outils mathématiques et une approche probabiliste, Richardson fut un des pionniers de la théorie des conflits et de ce qui serait appelé aujourd’hui de la sociophysique.

Parmi ses nombreuses observations, il nota que la distribution de la taille des conflits obéit à une loi de puissance. De la guerre des gangs à Chicago aux grands conflits entre états, tous obéissaient à cette même loi de probabilité. La guerre se comportant de la même manière que les tremblements de terre.

Sautons quelques décennies, pour arriver en 2011  à la publication du livre The Better Angels of Our Nature: Why Violence Has Declined par Steven Pinker. La thèse de Pinker se résume assez simplement. En se basant sur de nombreuses statistiques, Pinker soutient que le niveau moyen de violence est en baisse depuis plusieurs siècles dans le monde.  Ainsi, au lieu de vivre dans une époque particulièrement violente comme on serait porté à le croire, nous vivons dans une période particulièrement calme de l’histoire. Selon Pinker, le développement des états forts, du commerce international, du féminisme et de la société de droits a réduit la propension à la violence de l’humanité.

Je note au passage qu’un autre facteur ignoré par Pinker serait les progrès de la médecine qui fait que le nombre de morts violentes naturelles est en forte régression, ce qui rend moins moralement acceptable la mort violente imposée. Supprimez les antibiotiques et les analgésiques et la peine de mort et la torture deviennent subitement beaucoup plus tolérables.

Cependant, l’analyse de Pinker subit de nombreuses critiques. En effet, les statistiques à la base de ces calculs sont contestées. D’une part de la façon dont elles sont compilées; d’autre part, de la façon dont elles sont interprétées. En effet, selon le physicien et philosophe Nicolas Taleb, Pinker fait la même erreur que le dindon inductiviste de Russel. Ce dindon nourri tous les matins à la même heure, quelles que soient les circonstances, arrive à la conclusion qu’il en sera toujours ainsi. Malheureusement pour lui, il fait cette conclusion la veille de l’Action de grâce. Ainsi, Taleb montre que les statistiques sur les guerres indiquent que les conflits majeurs (>10 millions de morts) sont très distants dans le temps (de l’ordre d’un siècle). De sorte, que l’observateur moyen vit dans un monde en paix et qu’il ne faut donc pas en conclure que le retour de la guerre est improbable après quelques décennies de paix.

Taleb ne vérifie pas cependant si la distribution de la taille des conflits change après la Seconde Guerre mondiale. Ce qui permettrait d’invalider la proposition de Pinker. J’ai donc moi-même fait une analyse rapide en examinant la forme de la distribution cumulative de la taille des conflits depuis 1900. Les données proviennent du site The polynational war memorial.

Distribution cumulative des conflits (avant et après 1945)
Distribution cumulative des conflits (avant et après 1945)

La première constatation est que la distribution de la taille des conflits semble plus suivre une distribution exponentielle qu’une loi de puissance. Seulement, un petit nombre de grandes guerres (<5 %) contribuent à l’essentiel des morts. Cet élément d’analyse confirme donc les travaux de Taleb. De plus, la forme de la distribution est essentiellement la même avant 1945 et après 1945. Cette similarité est d’autant plus frappante que si on corrige pour la taille de la population à chaque époque, l’importance des guerres reste essentiellement la même. Bref, les données n’appuient pas la position de Pinker sur la réduction de risque de conflits.

Ainsi, si la violence ordinaire diminue, cela ne semble pas avoir d’impact sur la violence organisée qui semble obéir à ses propres règles. Pis encore, les mégaconflits semblent complètement imprévisibles.

De sorte, qu’il faut en venir à la conclusion que la paix sur terre aux hommes de bonne volonté tient plus du vœu pieux que d’une évolution naturelle de la civilisation.

Ajout du 14 juin 2015

À demande générale, j’ai normalisé les courbes par la population mondiale et pour le nombre d’année.  Si on exclus les super-conflits, le risque cumulatif de mourir en une année dans un conflit est environ seulement 30 % inférieur après 1945 qu’avant 1945. Il semble y avoir moins de petits conflits et moins de très gros, mais pour les conflits d’importance intermédiaire, il n’y a pas de différence notable.

Distribution cumulative des conflits renormalisée
Distribution cumulative des conflits normalisée à la population