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Démocratie et Métropolis

 

J’avais commencé à rédiger une chronique mardi soir, alors qu’on dévoilait la fin des résultats électoraux. J’ai été surpris comme plusieurs par le compte final des sièges, qui donne plus de représentation au PLQ (et moins à la CAQ) que les sondages ne le prédisaient. Je comptais écrire sur les injustices et les distorsions de notre mode de scrutin.

J’allais écrire que l’abomination d’un scrutin uninominal majoritaire à un tour ne se limite pas au fait qu’il déforme significativement le vote populaire, ou qu’il incite au détestable vote stratégique, ou encore qu’il gaspille des milliers de votes à chaque élection. J’allais aussi dire qu’à terme, notre mode de scrutin menace la démocratie elle-même, en donnant à trop de gens l’impression que leur vote est inutile et qu’ils sont prisonniers d’un système qui triche contre eux tous les quatre ans. Peu de réformes me semblent plus urgentes que celle-là.

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Mais, évidemment, l’histoire de la soirée – une soirée que des millions de gens attendaient depuis des mois, et qui devait contribuer à ramener la paix sociale au Québec – n’a pas été l’élection d’un nouveau gouvernement. Vers minuit, tous les journalistes et chroniqueurs du Québec ont ouvert une nouvelle page sur leur écran, intitulée non pas «Élection d’un gouvernement PQ minoritaire», mais plutôt «Attentat mortel au Métropolis».

La tragédie touche d’abord les victimes et leurs proches. Puis Pauline Marois, qui semble avoir été visée directement par une menace mortelle. Puis les partisans du Parti québécois qui célébraient leur victoire et qui ont vu la fête virer au cauchemar.

Mais c’est aussi une tragédie pour les adversaires politiques du PQ – et notamment ceux de la communauté anglophone et immigrante du Québec – qui devront insister (comme si c’était nécessaire) pour se dissocier et réprouver le geste d’un tueur qui se réclame d’eux.

Et finalement – avec mes excuses pour le cliché –, c’est une tragédie pour tout le Québec, qui passe soudain, aux yeux du Canada et du monde (certains diront encore une fois), pour une société instable, dangereuse et anarchique, alors qu’on sait bien que c’est tout le contraire.

L’assassin est-il un fou isolé? Sans doute. Son geste était-il d’inspiration politique? Il semble que oui, aussi. L’un n’exclut pas l’autre. Le délire politique – particulièrement à la sauce paranoïaque – a une histoire sanglante et bien connue. À Tucson, le type croyait que le gouvernement contrôlait la grammaire. Le tueur d’Oslo était en croisade contre le multiculturalisme. L’assassin du Métropolis semble avoir agi au nom des anglos du Québec, présumément menacés par certaines propositions péquistes.

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Je suis de ceux qui ont critiqué le virage identitaire du PQ au cours de la dernière campagne. Je n’ai pas changé d’idée. Je n’aime pas les politiques qui distinguent entre «nous» et «eux», qui établissent des catégories de citoyens, qui entretiennent la méfiance de l’autre – particulièrement immigrant ou minoritaire – et qui alimentent un nationalisme exacerbé dont on connaît les ravages. Je m’oppose à ce discours partout où on le trouve: en France, en Angleterre, aux États-Unis, au Québec et au Canada. Je hais le Québec bashing des uns autant que le ROC bashing des autres.

Mais la manière de critiquer importe – particulièrement à notre époque où tout le monde a accès à une tribune. En démocratie, on peut – il faut, même – dénoncer des politiques qu’on réprouve, et expliquer en quoi elles font fausse route, sont contre-productives, ou comment elles violent certains principes. La sobriété est préférable, mais il est normal qu’on le fasse parfois avec vigueur.

Cela dit, il existe une différence majeure entre la critique vigoureuse d’une politique et le salissage personnel, la déformation des faits, l’évacuation de la perspective de l’autre, le refus de considérer les deux côtés de la médaille, les analogies grossières, les insinuations mesquines, le mépris des personnes et le travestissement du commentaire sociopolitique en entreprise partiale de démonisation galopante.

Dans le premier cas, on s’adresse à l’autre camp, sur le terrain des idées, des faits et des arguments, pour tenter de l’amener à comprendre nos critiques et, si possible, faire évoluer la politique vers le compromis.

Dans le second, on s’adresse à son propre camp, sans préoccupation de mesure ou d’équilibre, pour fouetter les troupes et attiser la haine de l’autre.

Quand on mélange l’instabilité mentale et la démonisation irrationnelle de ses opposants avec un scrutin aux résultats inattendus et non représentatifs, le cocktail peut devenir explosif.