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L’évolution du Métal Québécois : Ouvrage biblique et métallique (Entretien avec Félix B. Desfossés)

Ian Campbell et Félix B. Desfossés_DSC5852

Chicoutimi a reçu à deux reprises la visite de Metallica dans les années 80. Il est plutôt irréel de penser à ça aujourd’hui étant donné que ce groupe est maintenant une force métallique mondiale qui joue dans les plus grands stades sur la planète. Dans les années 80, le métal était en pleine ébullition. Que ce soit en Europe ou en Amérique, ce mouvement était planétaire. Le Québec n’a pas échappé à cet engouement et quelques groupes d’ici ont pu se tailler une place dans le panthéon métallique mondial. Cette musique, perçue comme barbare par quelques badauds, possède sa propre histoire qui est bien souvent racontée par des témoins de l’époque. Complexe, l’historique métallique nous amène vers des sphères brouillées où l’information ne semble pas très précise. Lorsque l’on tente de valider ses origines, les théories sont diversifiées et pour ce qui est des premiers balbutiements de cette palette musicale version québécoise, un ouvrage métallisé est maintenant disponible sur le sujet. Écrit par Félix B. Desfossés, le livre L’évolution du Métal Québécois creuse profondément pour nous permettre de comprendre d’où viennent les premiers coups de massue qui ont su forger cette force métallique québécoise. Entretien avec Félix B. Desfossés.

La première question est plutôt évidente. Le commun des mortels a vu un jeune homme barbu à Tout le Monde en Parle. Que peux-tu nous dire face à cette question : Qui est Felix B. Desfossés ?

Je suis professionnellement un journaliste. J’habite à Rouyn-Noranda, en Abitibi-Témiscamingue. J’ai habité un bon 12 ans à Montréal, j’ai travaillé un bon 8 ou 9 ans à Bande à Part, défunte émission de Radio-Canada. Tout ma carrière Radio-Canadienne ou du moins l’essentiel, je l’ai passé à cette émission. Je me suis spécialisé sur tout ce qui est musique alternative, que ce soit du hip hop, du métal ou du hardcore. J’ai même fait un historique du hardcore au Québec,  une série web qui s’appelait Le Son Rock Québécois. Je partais des années 60 en montant à ce qui se fait aujourd’hui. En dehors du fait que je suis un spécialiste du rock au Québec, j’ai pris des cours à l’université en histoire de la musique et du rock. Je suis avant tout un mélomane, un fan fini de musique, un collectionneur de disques maladif. J’accumule des 45 tours, d’ailleurs dans ma salle de musique, il y a des piles et des piles de disques. J’en parle des fois à mon psychologue ! Hahhaha ! Ben non ! C’est sûr que je suis un passionné de musique, je ne peux pas dire que je suis un métalleux ou un fan de métal. Ce serait une insulte face aux vrais fans de métal. Je suis un amateur de métal et si je me suis ramassé à faire ce livre, c’est parce que Ian Campbell, qui lui est un vrai métalleux, avait besoin de mon aide. C’est lui le gourou de la scène à Rouyn-Noranda. C’est lui qui organise tous les concerts ici depuis la fin des années 90. Il a chanté aussi avec Neuraxis pendant une couple d’années. Ian voulait faire ce projet et il est venu me chercher. Il savait que j’étais journaliste, il savait aussi que j’étais sensible et intéressé par toutes les musiques dites alternatives. J’ai vu ce projet comme étant un défi à relever, une nouvelle porte à ouvrir et même, une nouvelle corde à mon arc. Je viens plus du milieu punk, j’ai grandi avec ce type de musique. Je connaissais le métal mais je ne connaissais pas assez ça à mon goût. Mais maintenant, je peux dire que je connais ça un petit peu plus!

Donc, c’est Ian Campbell qui est allé te chercher ? Tu ne t’es pas dit qu’un jour, tu allais écrire un livre sur le métal québécois ? Ian Campbell, tu es en train de nous dire, que c’est lui la bougie d’allumage du projet de l’Évolution du Métal Québécois?

Ian Campbell, c’est le père de ce projet. C’est lui le concepteur, c’est son idée. C’est lui qui mène le projet et c’est lui qui va mener le Tome 2. C’est lui qui va l’écrire. Je n’ai pas l’intention d’écrire le Tome 2. C’est ça qui est le fun de ce projet, je ne me sens pas lié à la série jusqu’à sa fin. C’est du No Strings Attached ! Je pouvais m’impliquer là-dessus, faire ce que j’avais à faire et Ian demeure le leader de ce projet. Dans ce sens, j’ai écrit le livre, j’ai fait les recherches, les entrevues mais Ian m’a toujours aidé en plus de diriger mes recherches. Il me donnait les cues face aux groupes, il me disait d’aller vers tels groupes, il me dirigeait vers les styles et il vérifiait certaines choses. C’est lui qui m’a donné les contacts pour les entrevues mais j’ai eu de l’aide sur une entrevue. Dave Rouleau d’Ondes Chocs, c’est lui qui a fait l’entrevue avec Luc Lemay de Gorguts, pour le livre. Ian Campbell a vraiment tout validé ce que j’écrivais, il a lu et relu des textes une bonne dizaine de fois. C’est tellement précis les styles dans le métal, il se devait donc de vérifier si tout se tenait. J’avais besoin de lui pour me guider à ce niveau-là car je ne voulais pas être à côté de la track. Je ne me serais jamais senti à l’aise ou assez ferré pour pouvoir dire au monde que tel groupe, c’est tel genre ! C’est un vrai travail d’équipe dans ce sens.

Il avait besoin de ton expertise face aux premiers balbutiements du rock au Québec ?

C’était ça à l’origine. Je n’étais supposé que d’écrire le chapitre sur les racines du métal. Même pas un chapitre, plus une introduction. Peut-être même l’annexe qui aurait commencé le livre ! Pour Ian, le métal ça commençait avec Voïvod. Avant 1982, il n’y avait rien à écrire ! Son idée, c’était ça. Il avait approché d’autres auteurs qui auraient fait les autres chapitres.

Je te parle de 2007, il y avait eu les célébrations face aux 25 ans du métal québécois avec l’hommage à Piggy de Voïvod. Ian avait participé à ça, il avait donc baigné dans cet environnement pendant quelques temps et c’est là qu’est arrivée son idée. Il est venu me chercher pour que je participe au livre. J’avais écrit mon chapitre sur les années 70 et j’ai vraiment aimé faire la recherche face au heavy rock d’ici, comment un groupe comme Aut’Chose avait pu se développer, par exemple. Le projet est un peu tombé dans l’oubli par la suite. Moi, j’avais livré mon chapitre mais les autres qui devaient participer au projet ne l’ont pas fait mais vers 2012, il y a eu un certain regain. Ian s’est dit que l’on devait se botter le cul et finir le livre. Il m’a dit qu’il s’occupait des années 80 et que je devais retaper mon truc sur les années 70, et ensuite, on sort ça ! Finalement, il a fallu qu’on se motive. Il y a un gars de Trois-Rivières, Jean-François Veilleux, qui avait trouvé un éditeur et il voulait nous proposer quelque chose.

Je venais de revenir en Abitibi, je n’étais pas trop sûr face au choix d’éditeur avec qui Veilleux voulait travailler. J’avais déjà tâté le terrain avec des gens de Montréal et même ici en Abitibi. J’ai eu toutes les réponses possibles face au  livre. On me disait que ce n’était pas assez grand public, d’oublier ça, que ce projet n’était pas viable et d’autres refus catégoriques. J’avais donc un désintéressement face au projet. Quand je suis allé voir Les Éditions du Quartz en Abitibi, ils m’ont donné une réponse positive en moins de 48 heures. Ça, c’était en 2013 et je venais de me réinstaller en Abitibi. Ils n’ont pas pris le projet parce qu’ils sont fans de métal, ils ont pris le projet parce que nous sommes des Abitibiens. C’était ce qui manquait. En général, dans la vie, quand je m’implique dans un projet, j’aime ça le finir. Quand j’ai décidé de m’embarquer dans le projet avec Ian, je me suis investi.  Je ne voulais pas travailler dans le vide. J’en ai mis du temps là-dedans. Et ce que Les Éditions du Quartz nous ont dit c’est que lorsque quelqu’un a un projet, on l’aide à le finir. C’est ce qu’ils ont fait, carrément.

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Je me demandais, pour la préface, pourquoi votre choix s’est arrêté sur Ronald McGregor ?                    

Je lui ai demandé d’être l’un des correcteurs. Il a relu le livre, très très très souvent. Il a vécu les années 80, c’est un témoin de la scène. Il écrivait pour le journal Pop Rock. Il écrivait ce qui devrait être considéré comme la première chronique sur le métal underground au Québec dans un magazine. Ça s’appelait Métalloïde Revisé et il parlait de Voivod, d’Aggression et Outrage. Il parlait aussi des groupes internationaux comme Destruction. Il était très au courant dans le temps et il a gardé énormément d’archives. Moi, j’ai découvert Ron quand il a chapeauté la biographie de Lucien Francoeur, écrite par Charles Messier. C’est un de mes anciens comparses de l’université. Je suis allé au lancement et j’ai rencontré Ron à ce moment-là. J’ai compris que ce gars-là était une bible du rock. Je lui ai parlé du projet et j’ai rencontré aussi Géo Giguère, à ce moment-là. J’avais déjà interviewé Ron, un peu, par courriels. Je voulais savoir des trucs sur la musique. C’est comme ça qu’il s’est rapproché du projet. Il m’a demandé un draft du projet, il l’a regardé et il m’a dit qu’il en était jaloux. Il m’a dit qu’il aurait aimé un jour, écrire un livre semblable. Il s’est impliqué en me fournissant énormément d’archives. Il a rajouté des souvenirs là-dedans, c’est un gars qui a été très important dans ce projet.

Ian Campbell vise la trilogie avec ce concept, c’est bien ça ?

Lui seul pourrait te répondre mais ce serait l’idéal. Nous n’avons qu’effleuré l’histoire du métal, il y a tellement de stock après. Surtout pour les années 90.  J’aurais aimé parler d’Anonymus, d’Obliveon et même de Gorguts parce qu’on s’entend, ils ont dû exister 8 mois pendant les années 80 ! Après, ça explose. Le deuxième devrait couvrir les années 90 et le troisième, les années 2000. Il n’y a qu’Ian qui pourrait te le confirmer. On a parlé avec Dan Greening de Cryptopsy, le tout aurait pu être intéressant. Dans le livre, on ne parle que de Necrosis mais j’aurais aimé parler avec les membres de Kataklysm aussi mais ils ont commencé au début des années 90. Mon intérêt pour le métal grandissait, j’ai comme l’impression d’avoir arrêté au milieu du chemin parce que c’était le début pour bien des groupes vers la fin des années 80. Un aspect que j’aimerais faire, pour la portion années 90, c’est tout ce qui entoure la scène crust. Moi, venant du punk, tout ce qui vient du crust métallique, ça m’intéresse. Quand on a fait le lancement à Québec, il y avait des gars de Mesrine et d’autres groupes du genre. Quand je pense à des groupes comme Immoral Squad de Québec, qui sont plus dans le hardcore, c’est pertinent. Ils ont des liens avec la scène métal, ça fait qu’il y a sûrement un petit chapitre à faire sur ce sujet.

IanCampbell_FélixBDesfossés

Dans la quantité de groupes qui sont présentés dans le livre, est-ce qu’il y en a certains envers lesquels, tu étais un peu plus frileux de présenter ? Si on pense à Outbreak, étant donné l’image néonazie que le groupe avait à l’époque. As-tu hésité ou tu t’es dit qu’il fallait y aller, coûte que coûte ?

J’ai hésité, je te dirais que oui. J’ai eu quelques questionnements face à ce genre d’ovni. Il y a aussi Genocide ou Genocide Inc car ils ont changé de nom à quelques reprises. Il y a eu Dissection aussi, ce groupe était formé d’anciens membres d’Outbreak. Ce sont des gars un peu de la même gang. L’imagerie qu’ils utilisaient pouvait nous laisser croire à des amateurs du nazisme, je me disais : « Ok, c’est quoi ça, qu’est-ce que je fais avec ça ? » Mais après avoir parlé avec des gens qui connaissaient Outbreak, ils m’ont raconté que le groupe utilisait l’image nazie mais que ce n’étaient pas des gars qui arrivaient dans une place pour péter la gueule des gens d’autres races. Ce n’était pas une bande de gars qui suivaient l’idéologie du mouvement, c’était plutôt d’utiliser cette image dans le but de provoquer et de faire peur. Je me suis dit que ça faisait partie de l’histoire et que je devais en parler ! Ça nous plaît peut-être pas de voir ce genre d’images mais ils ont fait des trucs en cassettes et en Lps dans le temps. Aujourd’hui, il y a des collectionneurs qui les cherchent. Donc, de façon objective et sans aucune censure, je crois que ça aurait été une erreur de ne pas en parler car ils font partie de l’histoire.

Qui dit années 80 pour le métal dit Voïvod mais aussi, la fameuse étiquette Banzaï Records. D’après toi, l’importance de l’étiquette Banzaï ? Personnellement, j’ai déjà parlé avec Piggy de Voïvod sur ce sujet très chaud et il n’avait pas de mots très tendres envers Banzaï mais surtout, Michel Meese. De ton point de vue, qu’en penses-tu ?

Je pense que c’est bien d’avoir vécu ça avec une certaine objectivité, de ne pas avoir vécu ça de l’intérieur. On ne peut pas parler de Banzaï sans parler de Michel Meese. C’était le chef, le directeur de Banzaï. Il était propriétaire du Rock en Stock, un magasin d’importations à Montréal. Le métal a pu pénétrer au Québec grâce à ce magasin. Fin des années 70, début des années 80, ils se sont tout de suite branchés sur le métal. Ils importaient du métal de partout sur la planète. Si tu es un métalleux, tu vas au Rock en Stock. Away de Voïvod se souvenait d’être parti de Jonquière expressément pour aller au Rock en Stock, acheter des piles de vinyles. Ce magasin est essentiel dans l’histoire et le développement du métal au Québec. Lui, Michel Meese, et personne ne peut le nier, il savait comment faire une piastre. Il a vu que des disques en importation, malgré un prix élevé, ils se vendaient quand même. Il s’est dit que s’il faisait de la licence avec ça, il allait réussir à faire de l’argent avec ça. Il y avait de la demande de la part des clients. Il est donc devenu le distributeur canadien de bien des compagnies de métal underground et même celles qui sont une coche au-dessus. Banzaï est donc primordial parce que sans cette étiquette, il y aurait eu une quantité d’albums qui n’auraient pas eu de succès ici car ils n’étaient disponibles qu’en importation. Il faut penser à l’accès aussi, dans les petites places, les petites villes plus éloignées. Avec Banzaï, c’était disponible partout car la distribution était faite par Polygram. C’est le label le plus important pour le Québec et pour la Canada… y’en avait pas d’autres anyway ! Ceci étant dit, Meese était aussi un requin. Il aimait l’argent et voulait en faire. Pour cette raison, il a fait de très bons coups mais il a laissé certaines relations s’envenimer avec le temps. Il y a plusieurs musiciens qui témoignent dans le livre, des gars de Deaf Dealer ou Aggression, qui ont été en gérance avec lui ou sous son label. Même Voïvod comme tu le disais. C’est juste extrêmement dommage que le tout se soit terminé de façon aussi dévastatrice pour bien des groupes avec Meese.

Et avant de terminer le tout, tu es l’un des fondateurs du Musée du Rock n’ Roll du Québec, avec Patrice Caron.           

Oui et je peux même t’annoncer en primeur que l’on va couvrir le métal très bientôt dans l’une de nos prochaines expositions.

C’est vendredi soir, je vais te laisser là-dessus ! Merci bien !

Merci Yanick !  Mais je me dois aussi de remercier Annick Giroux qui a été très généreuse avec nous. Elle nous a fourni de nombreuses images pour le livre et je tiens à la remercier !

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Crédit photos: Hugo Lacroix